Personne n'aime The Room mais tout le monde aime The Room, au fil du temps ce film s'est taillé une réputation de nanar incontournable, faisant même parti du cercle très privé des midnight movies, découvert il y a quelques années j'ai pu enfin mesurer la teneur du merveilleux désastre, car il faut le dire: oui The Room est extrêmement mauvais, pénible, malaisant, tellement qu'il en devient drôle, mais je dirais qu'il ne l'est pas plus qu'un Killer Clowns, Le Clandestin ou autre Batman 60s, de ce fait que lui vaut le titre de "pire film de tous les temps" ? Sans doute grâce au mystère qui entoure son créateur Tommy Wiseau, personnage ô combien atypique et égocentrique dont nul ne connaîtrait l'âge et l'origine de sa fortune, il produira, écrira, réalisera et interprétera le premier rôle de son film, un caprice à 6M de dollars pour s'être fait refoulé de tous les castings d'Hollywood, un geste de fou furieux en somme.


James Franco, certainement fasciné par le bonhomme et son œuvre, se lance donc dans l'idée de tourner un biopic qui montrerait les coulisses du projet en se réappropriant toutes les facéties originelles (ou presque), puisqu'il sera derrière et devant la caméra sous les traits de Wiseau, un choix que l'on peut qualifier de discutable compte tenu de son caractère mimétique et sarcastique. Cependant je trouve que Franco réussi, au delà de travers sans doute romancés, a raconter une histoire, celle d'un type rejeté qui retrouverait ses lettres de noblesse, comme cela a pu être le cas au cinéma avec le Ed Wood de Burton, voir comment un créateur, même avec tous les défauts du monde, peut être respectable tant il suit sa propre vision, loin des diktats de production. Encore une fois c'est ouvert à débat, je n'ai pas d'affection particulière pour Wiseau, d'ailleurs j'ai trouvé le cirque de la ressortie récente de The Room assez grotesque (plus une opération de com pour mieux vendre ce Disaster Artist si vous voulez mon avis), tous ces gens qui viennent s'attrouper dans une salle pour le plaisir de beugler et d'agiter leurs portables en accueillant Wiseau comme une rock star me laisse perplexe, mais pourquoi pas, qui suis-je pour juger ? Parce que finalement tout le monde se fout de sa gueule, mais comme disait Pierre Brochant "il n'y a pas de mal à se moquer des abrutis ils sont là pour ça", et Franco ne se gêne pas à en faire des caisses pour le montrer comme le dernier des attardés, et c'est drôle, on ne devrait pas avoir honte de rire à ses dépends, surtout que le film fait preuve d'un regard plus authentique que la moyenne dans le registre biopic, disons moins complaisant. On voit que c'est un connard odieux et égocentrique à de nombreuses reprises, mais on finit par se prendre à notre propre jeu quand il se retrouve face à ce qu'il est dans le dernier acte, le rendant attendrissant et humain, est-ce que Wiseau le mérite vraiment ? Je ne sais pas, mais ça marche à l'écran.


Ce qui m'avait également frappé devant The Room c'est le fond shakespearien, et je ne savais pas que Wiseau venait du théâtre et qu'il était passionné par les grands dramaturges, de même que de privilégier l'émotion naturaliste, seulement entre théorie et pratique il reste un monde, et c'est là que le ressort humoristique fonctionne de manière admirable, autant dans le film original (scène lunaire du suicide) que dans ce biopic (première apparition du personnage de Franco), l'art du cabotinage, et c'est toute cette maladresse pleine de bonne volonté qui met en valeur ce décalage quasi irréel. Car Wiseau se considère comme talentueux et inspiré, mais il n'y a que lui qui en est persuadé, et par son obscure situation il entraîne tout le monde dans son sillage, c'est aussi la réalité de Hollywood, tu as le chéquier tu as le pouvoir, et le mec en abuse royalement quitte à se perdre dans un délire mégalo comme lors d'une scène de sexe où il se revendique d'Hitchcock alors qu'il a le cul à l'air, purement jouissif. Ce qui pose une question relative sur l'aliénation, est-ce que ce type est fou parce qu'il lui manque une case ou parce qu'il dispose d'un crédit illimité ? Ou bien les deux à la fois, ou que l'un amène à l'autre, ou ni l'un ni l'autre, réflexion secondaire je vous l'accorde. Mais encore une fois Franco ose montrer Wiseau sous ses pires turpitudes et je n'ai rien contre ça, car il expose l'humain imparfait, ce qu'il est réellement, à l'opposé de la moralité bon pied bon œil du personnage de Greg Sestero, moins intéressante bien que précieuse dans le dispositif de réhabilitation du portrait de son mentor.


En outre The Disaster Artist dispose d'une réalisation correcte (principalement en caméra à l'épaule) et d'une distribution fort sympathique, avec quelques invités surprises comme Melanie Griffith en prof de théâtre, Sharon Stone en casteuse ou encore Bryan Cranston dans son propre rôle, James Franco se fait plaisir avec sa bande tout en gardant retenue et modestie. On pourrait simplement lui reprocher d'oublier ses personnages secondaires, même si je ne lui en tiendrait que peu de rigueur tant on comprend que son film tourne autour de la relation entre deux entités, au delà d'une justification à choisir son propre frère pour incarner Sestero, si il y a une part de meta, sachant qu'en plus Alison Brie est la vraie petite amie de Dave Franco, l'intéressé a peut être répondu lors d'une interview. En terme de comédie le résultat est donc positif, surtout pour tout son côté coulisse du nanar culte, comme lors de scènes hilarantes où l'équipe de tournage reste abasourdie face à l'incompétence de Wiseau, le drame quant à lui demeure assez classique en apparence, bien que comme dit précédemment la fin réussie à être émouvante, mais disons que ce qui reste le plus intéressant est le travail de Franco pour dépeindre le caractère ambivalent de son idole (j'imagine), entre fascination, tendresse et burlesque, et dans cette réflexion ironique de l'accident industriel se transformant, involontairement, en geste artistique traversant les âges.


Et comme preuve ultime que j'ai aimé le film, j'ai envie de me réinfliger The Room. C'est dire.

JimBo_Lebowski
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le 8 mars 2018

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JimBo Lebowski

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