J’avais envie d’appeler ce billet « Matières à panser », parce qu’une fois qu’on tient un jeu de mots, mauvais ou non, il est difficile de s’en défaire. Mais quand celui-ci sonne un peu trop CSP+, mieux vaut y renoncer.


Ce titre aurait pourtant été pertinent, car c’est de ça dont il s’agit ici : Jim Jarmusch appose une tendresse bizarre et réconfortante sur du malheur.


Car du malheur, il y en a, et même beaucoup : c’est l’apocalypse, les morts sont de retour, on y croise des revenants familiers, on y meurt les uns après les autres, on s’y fait dévorer, puis on devient un mort-vivant à son tour.


Et de la tendresse, de la légèreté, il y en a aussi : la consolation de cette apocalypse, c’est qu’elle se déroule (presque) sans terreur, sans angoisse, si bien que le personnage de Chloë Sevigny agace alors que c’est la seule à adopter un comportement raisonnable : la peur ; on se range étrangement du côté de l’invraisemblable placidité d’Adam Driver et de Bill Murray.


The Dead don’t die déroule alors un amusant petit jeu de blagues plus ou moins méta et lourdes, de références et de clins d’œil plus ou moins appuyés, qui prennent beaucoup de place.


Mais le film n’est pas qu’une « comédie qui rend hommage aux films d’horreur » : il faut faire l’hypothèse que Jarmusch est plus fort que ça.


La curiosité du film est ailleurs : dans sa manière de cocher les cases du genre du film de zombies, de multiplier les lieux et les figures attendus sans toujours vraiment s’y intéresser. Le chemin de croix du film de zombie est respecté : on a l’explication pseudo-scientifique, le geek, les séquences en voitures et les voitures adéquates, les citadins, la jolie fille – et il est curieux de remarquer à quel point Selena Gomez n’existe dans le film que pour ses jambes. Mais ces références sont expédiées, le film coche les cases le plus vite possible.


Ce pourrait être désagréable : se moquer d’un genre de film, en exhiber toutes les ficelles, être une comédie horrifique sarcastique de plus, c’est facile. Mais je ne crois pas que Jarmusch soit cynique dans son rapport au cinéma d’horreur.


Il m’apparaît plutôt comme un dandy désabusé, et la figure du zombie lui permet de livrer un constat tragique et réaliste. Le « ça va mal finir », répété Adam Driver, ne signifie pas davantage que : « on est foutus, c’est comme ça ». Et en effet, il va de soi qu’une invasion de morts-vivants ne peut pas bien se terminer, tout comme notre monde tel qu’il va n’incite pas à l’optimisme : la lucidité du constat n’est pas si fréquente et surprend, voire bouleverse.


Alors, le film se conclut logiquement par le constat prononcé par Tom Waits : « Monde de merde ». Mais plus tôt dans le film, RZA, le livreur, dit à son interlocuteur qui cherche de la matière à méditer : « le monde est parfait » (dans son contexte, étrange, la phrase a l’air un peu naïve, mais je crois qu’elle ne l’est pas : Jarmusch s’était employé à la démontrer dans Paterson, son précédent film).


L’énigme du film, son paradoxe apparaît, ainsi que l’art poétique de Jarmusch : faire tenir ensemble ces deux propositions. Il ne faut pas y voir une succession : il ne s’agit pas d’un « monde parfait » qui dégénère en « monde de merde » ; le monde serait simultanément parfait, à être bien attentif à ses détails, et merdique.


Face au désespoir le plus complet, quelques beaux gestes restent alors possibles, et le film souligne la beauté de ces quelques gestes, car c’est sur eux qu’il faut se concentrer : une rédemption est offerte à Tilda Swinton, car elle agit de belle manière ; et tout aussi beaux, Bill Murray et Adam Driver décident finalement de faire face.

TomCluzeau
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le 15 mai 2019

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Tom Cluzeau

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