Batman Begins posait la première pierre à l’édifice voué au culte du super héros masqué. Dans un processus initiatique troublé par la perte de ses parents jadis et sa volonté de venger la mémoire et l’honneur d’une ville qui sombre dans la criminalité, Bruce Wayne n’avait qu’un seul mot en tête : la justice. Et dans une continuité parfaitement cohérente, The Dark Knight mettra cette notion à toute épreuve : quel visage doit avoir la justice ? Jusqu’où peut-elle aller pour diriger ?


La première chose que l’on remarque, c’est l’aspect plus réaliste de l’environnement. Gotham n’est plus cette ville malfamée et poisseuse qui dessinait ses traits presque fantomatiques dans Batman Begins. Dans ce deuxième opus, la métropole prend des allures de ville ancrée dans le réel : celle de Chicago. Comme si Nolan voulait désacraliser l’affect fantasmatique du film de super héros pour rendre les enjeux encore plus parlants et évocateurs dans leurs répercussions.


Une importance de l’imagerie du réel qui est habituelle dans sa filmographie. Surtout que Batman aura fort à faire dans cette deuxième partie de la trilogie puisqu’il sera face à son plus fidèle ennemi : le Joker. Malgré le costume de la chauve-souris et du maquillage, tout est crédible dans son cheminement. Le combat mettra alors en exergue des thématiques au modernisme troublant. Car derrière son costume de film de blockbuster spectaculaire qui ne tombera jamais dans la paresse du climax pyrotechnique, The Dark Knight est un polar redoutable sous la dialyse du film choral qui se verra affecté par des questionnements politiques passionnants.


Chaque personnage - Batman, Harvey Dent, Gordon – ont leur propre vision de la justice pour contrer le mal qu’incarne le Joker (incroyable Heath Ledger). Ce qui est fort chez Nolan, c’est de faire vivre ses personnages par leur interaction profonde avec leur environnement et leurs volontés qui en découlent. Dans le bas monde que crée Christopher Nolan, le bien et de mal se confondent. Ces deux clés de la démocratie vivent en parfaite communion tant que l’un des deux ne domine pas l’autre. La police est corrompue par peur ou profit et la pègre dirige tout en gardant un code d’honneur pour se noyer dans une moralité hypocrite. Mais tout cela se contrôle de lui-même dans un film qui s’interrogera sur la primauté de l’Ordre et de l’intérêt général dans la démocratie.


Et c’est là que le Joker prend tout son sens : sa place, sa fantaisie, sa folie, sa destruction, son nihilisme presque amusant et amusé. Il est le chaos à lui tout seul. Une force centrifuge qui ne demande qu’à voir le mal s’incarner par lui-même ou par l’utilisation de stratagème, comme en témoignent la séquence des bateaux ou ce chantage entre la mort d’un homme contre l’explosion d’un hôpital.


Il est le fantôme qui circule en chacun de nous : on peut tous passer de l’autre côté. Il est un effet placebo mais déplacé vers sa version morbide. Et cette fameuse séquence de bateau est un saut de foi un peu naïf mais est symptomatique de la volonté du personnage : le reflet de l’humanité et le droit de vie ou de mort sur les autres. The Dark Knight voit la bonté de l'Homme, faisant face à la vengeance et son instinct de survie qui peut le pervertir.


Dans une première séquence de braquage de banque que ne renierait pas Mickael Mann, le film se décrit de lui-même : un par un les braqueurs se tuent entre eux dans l’optique de l’appas du gain mais le seul qui survit c’est le chef, masqué et fourbe qu’est le Joker. Il laisse les autres entre-tuer dans le mensonge et l’aveuglement du pouvoir où « la folie suit les lois de la gravité ». Il est incontrôlable et invisible, le visage d’une anarchie qui aime se fier aux hasards. Mais avant tout chose, avant d’être un film à thèse riche mais pas toujours très subtil dans son exécution, The Dark Knight n’en reste pas moins un film d’une qualité cinématographique parfaite, dans le rythme de ses rebondissements et l’excellence de sa mise en image : géniale séquence de course poursuite.


Nolan tient en haleine sa dramaturgie fictionnelle grâce une écriture et un montage narratif parfait, mélange rodé entre scène de récit et d’action, laissant place à l’iconisation de ses protagonistes – excellent Dent/Double Face – et la caractérisation des motivations des uns et des autres. Mais si The Dark Knight, dans sa longueur, donne beaucoup d’importance à des personnages comme le Joker ou Harvey Dent, c’est dans la volonté de mieux nous faire comprendre les agissements du justicier masqué mis en perspective par les conséquences de ses choix.


Dans cette position-là face à la notion de vigilante, le film voit s’entretenir un lien particulier entre le White Knight (Harvey Dent) et le Dark Knight : alors que l’un a toujours voulu respecter la justice tout en ayant basculé dans la folie meurtrière, l’autre a oublié toute notion de démocratie en ayant jamais ôté la vie de l’un de ses congénères.

Velvetman
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le 9 juil. 2016

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