Grande œuvre malade qui s'autodétruit à force de vouloir tout dire et tout montrer, The dark knight aurait gagné à être soit beaucoup plus court, soit beaucoup plus long (la plupart des scènes s’enchaînent trop rapidement, comme brisées dans leur élan et leur continuité, et le montage saccadé accentue un indéfectible sentiment de confusion générale). Cet entre-deux flottant rend le film excessivement dense, décousu, et ce malgré ses infinies dispositions et qualités qui font de The dark knight une création bancale mais fascinante, profondément ténébreuse.

La première demi-heure, sans relief, se complaît dans une intrigue singeant un piètre suspens financier et gadgétisé à la James Bond ; elle permet cependant d’introniser officiellement le personnage du Joker (la scène du cambriolage en ouverture, très réussie, n’apporte rien en soi), mais de par sa faiblesse narrative et structurelle, un autre choix d’introduction, concis et explicite, aurait été plus enthousiasmant. Le film commence ainsi en demi-teintes pour se déchaîner et s’élever ensuite vers des sommets de folie et de noirceur, trébuchant néanmoins lors d’un final laborieux, asphyxié en partie par une morale normative et lourdement assénée sur la miséricorde humaine surpassant l’infamie patente à chaque individu.

Confiné entre une mise en place alambiquée et un médiocre dénouement, le milieu du film existe par et pour sa scélératesse flamboyante, cauchemardesque, instituée par la démence destructrice du Joker, double négatif de Batman dont les agissements (criminels) n’ont de raison d’être qu’en s’opposant à ceux (dévoués et légitimes) du chevalier noir. Heath Ledger, dans la peau de ce fanatique crasseux défiguré par quelques mystérieuses circonstances, vampirise totalement l’écran, habité, fébrile, émouvant, et sa présence y est remarquable jusqu’à son absence ; seul Aaron Eckhart parvient, face à lui, à captiver et à imposer un Harvey Dent charismatique rattrapé et broyé par les conséquences de sa croisade anti-pègre.

Le triangle infernal Joker / Dent / Batman représente l’enjeu essentiel du film, explicité par la relation d’interdépendance qu’entretiennent ces trois figures inextricables, représentations discordantes d’une seule justice et d’une seule humanité où tout demeure indécidable. Anéantir ou garantir l’espoir, c’est dans cette idée théorique que la lutte ambiguë du Bien et du Mal prend toute sa dimension pratique (et explosive) ; le Joker veut prouver que le chaos est le seul maître de ce monde, sans issue possible, quand Batman et Dent cherchent, eux, à canaliser toute anarchie absolue.

Nolan aspire à trop d’exhaustivité là où un minimum de modération aurait parfaitement servi le propos, l’opacité et le trouble de son film, hanté par une musique parfois inquiétante et des scènes magnifiques, souvent sublimes dans leur simplicité et leur force visuelle (Dent hurlant sur un sol trempé d’essence, le Joker penché à la vitre d’une voiture ou prêt à écorcher Rachel tout en lui racontant l’une des éventuelles origines de sa difformité…). The dark knight a des allures majestueuses de blockbuster sentencieux, fatigué et pessimiste (en résonance avec la complexion de son héros), s’abîmant inexorablement dans sa propre ambition et sa propre excessivité.
mymp
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le 11 oct. 2012

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