Pour son premier film, Na Hong-Jin vient parfaitement alimenter la vague du polar coréen dans laquelle Kim Jee-Woon s’est déjà illustré quelques années auparavant avec A Bittersweet Life : réalisation classieuse, ambiance ténébreuse, violence excessive, et enquête au long cours.
L’intrigue est ici néanmoins un peu plus originale que la sempiternelle question de la vengeance obsessionnelle. Le protagoniste n’a rien du beau gosse dont on excusera les méthodes expéditives au vu de la noblesse de sa cause, puisqu’il s’agit ici d’un ex-flic reconverti en mac contraint d’enquêter sur la disparition de sa marchandise.


Resserré sur 24 heures, le récit déjoue les attentes de l’enquête ou de l’identification du tueur : de ce point de vue, la rapidité initiale, (notamment dans la très bonne idée de cette rencontre par accident de voiture) loin de frustrer le spectateur, accroît son attention, puisqu’il se demande vraiment quelles directions va prendre l’intrigue.


La question centrale est celle de l’établissement de la justice, une problématique permanente du genre : loi du talion, ou digestion par un système lui-même corrompu, et donc inefficient. La progression est ainsi double, et croise à plus d’une occasion l’incompétence de la police, à la botte d’intérêts surtout politiques, et celle d’un individu, d’abord vénal puis progressivement ouvert à une forme d’humanité. Cette dernière question n’est pas la plus grande réussite du film, notamment dans le recours au binôme forcé avec la fille de la prostituée dont on ne sait assez rapidement plus trop quoi faire.


C’est surtout dans le programme de la chasse que se situe l’intérêt principal : jouets d’un psychopathe dont on ne sait jamais vraiment s’il a une longueur d’avance ou improvise dans la panique, la police comme le mac se retrouvent à chercher une aiguille dans une botte de foin. Les courses poursuites dans le dédale nocturne des ruelles piétonnes, les méandres juridiques permettant au suspect de s’en sortir à chaque fois mettent en place une structure étouffante dont suinte une noirceur assez efficace, dont les personnages ne sortent pas indemnes.


Si l’on fait preuve de tolérance quant à quelques ficelles un peu grossières du scénario (la facilité avec laquelle on relâche le suspect, avant même les résultats des tests ADN, la coïncidence de la rencontre dans l’épicerie…), The Chaser surclasse nettement ses camarades comme A Bittersweet Life ou à plus forte raison J’ai rencontré le diable : Na Hong-Jin ne sacrifie pas tout au profit de l’action ou de la surenchère, et ambitionne une architecture plus vaste, qu’elle soit sociale ou psychologique. Un regard acéré qu’on retrouvera encore plus prononcé dans son opus suivant, The Murderer.


(7.5/10)

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le 23 juil. 2016

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Sergent_Pepper

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