Certaines leçons semblent tirées par Richard Kelly après le désastre Southland Tales, lorsqu’il lance The Box : le pitch, tiré d’une nouvelle de Richard Matheson (un auteur majeur, qu’on ne connait malheureusement que par le biais du cinéma, notamment pour son scénario de Duel ou Je suis une légende), est en effet relativement simple : on dépose chez vous une boîte dotée d’un bouton, qui vous permet, au cas où vous le pressez, d’obtenir un million de dollars. En contrepartie, une personne que vous ne connaissez pas mourra.


L’exposition du drame est un contrepoint total à la folie des films précédents : bien ancrée dans la Virginie de 1976, elle semble dans un premier temps une étude de mœurs. On retrouve certains invariants de son cinéma, comme les infirmités ou le rôle important accordé aux parents et au patriarche, notamment par la présence pour la troisième fois consécutive d’Holmes Osborne, véritable colonne du cinéma de Kelly.


Le dilemme et le choix opérés constituent sans doute la meilleure partie du récit : le cinéaste équilibre habilement la décision du couple et ses conséquences morales lors d’un rehersal dinner, nouvelle occasion d’un bain de foule à la steady cam qu’il affectionne tant. Les sourires tristes de Cameron Diaz et les progressifs dérèglements de la chorégraphie sociale mettent au jour une mécanique grippée, une tragédie larvée où l’être humain révèle son immuable égoïsme.


Ce point de départ, ainsi que la dissertation sur les raisons d’un tel test par son instigateurs, suffiraient à nourrir tout un film. Déterminer si l’humanité est capable de tenir compte de son prochain, expliquer en quoi le concept de la box résume sa vie entière (le chez soi, la télé, la voiture, le cercueil), et enfermer les postulants à la fortune dans une autre cage, celle du châtiment final : c’est là déjà tout un programme.


Mais Kelly ne se refait pas et greffe sur cette trame des complots, la Nasa, la NSA, les maîtres de la foudre et une ambiance vintage dans l’esprit des Envahisseurs. La référence autobiographique explique en partie ces excroissances (son père fut effectivement le designer des caméras de la mission Mars Viking Lander dans les années 70), mais n’empêche pas d’empeser l’équilibre général. La tonalité apocalyptique, présente dès Donnie Darko, reprend sa place, et donne lieu à une enquête et une propagation des enjeux initiaux qui les affadissent. S’il était parvenu à se limiter, notamment dans le recours aux effets spéciaux (les passages liquides, notamment, autre constante dans son esthétique), Kelly aurait pu nous livrer une fable plus acerbe, qui marche un temps sur les traces d’Eyes Wide Shut avant de s’essouffler sous le cahier des charges du thriller fantastique. Comme toujours, le scénariste assume cette surenchère, lorsqu’il fait dire à son personnage principal à qui on demande pourquoi tant de mystères :



I like mysteries. Don’t you ?



Les défauts persistent et les maladresses encombrent ; il n’empêche. Richard Kelly a disparu des radars depuis 7 ans, et ne semble pas avoir de projets. J’aurais volontiers gouté d’autres maladresses de sa part.

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le 7 mars 2016

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Sergent_Pepper

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