Pour moi, la première image forte du film est ce regard soutenu du jeune Nat Turner face au chasseur d’esclave Raymond Cobb. Ce premier défi à l’homme et à l’Histoire marque le destin de cet esclave. Il marque aussi le film qui se termine par un autre regard, tout aussi fiévreux et indigné. The Birth of a Nation est une histoire de regard.


Il est avant tout le regard personnel du comédien Nate Parker sur l’histoire de Nat Turner. Pour son premier film en tant que réalisateur, il a investi 100 000 dollars de son propre argent dans ce projet qui lui tient particulièrement à cœur.



« Ça a été un processus solitaire, il m’est même arrivé de penser que je n’en verrais jamais le bout, mais cela fait partie du prix à payer lorsqu’on veut non seulement réaliser un film mais également faire bouger la société » Nate Parker



Avec ce film, Nate Parker a en premier porté un regard sur l’ignorance, la sienne comme celle de ses compatriotes. Bien qu’il ait grandi en Virginie, non loin de l’endroit où Nat Turner a mené son insurrection, l’acteur n’a jamais entendu prononcer son nom à l’école.



« J’ai entendu parler de lui à travers des murmures et par les membres de ma famille. C’était comme si on essayait de conjurer l’esprit même de la rébellion. Ce n’est qu’à l’université, où j’ai étudié l’histoire afro-américaine, que j’ai réellement appris qui il était. Je me suis alors demandé comment il était possible que j’ignore son histoire alors qu’elle s’était déroulée à deux pas de chez moi. » Nate Parker



Le jeune a souhaité alors avoir un regard sans concession sur l'histoire de son pays. Les Etats-Unis.



« Nat Turner s’est mû en leader en dépit d’incroyables obstacles. Dans la culture populaire, l’esclavage est souvent traité à travers des histoires de souffrance et de persévérance, mais l’histoire de Nat Turner est bien plus que cela : c’était un esclave mais également un rebelle qui s’est élevé contre l’injustice. Son histoire devait être racontée avec sincérité, elle est incroyablement pertinente et témoigne de l’aspiration à la paix raciale dans ce pays. » Nate Parker



Le titre du film est aussi un regard en biais, sur l’histoire de la nation mais aussi de son propre art, le cinéma. Bien conscient de la portée du 7e art, le réalisateur a pris le même titre qu’un film de 1915 par D.W. Griffith. Ce dernier raconte une fresque familiale sur fond de Guerre de Sécession, qui faisait notamment passer les membres du Ku Klux Klan pour des héros et les noirs pour des brutes sanguinaires. La refondation du KKK fut inspirée par cette œuvre.


Ainsi, le metteur en scène entend regarder le présent tout autant que l’avenir. L’idée du projet de Nate Parker est née en 2009, année durant laquelle Barack Obama a été élu président des Etats-Unis. Le film sort l’année où le premier président noir quitte son deuxième mandat, alors même que le pays est secoué par les bavures policières et les discriminations.



« Pour moi, intituler ce film The Birth of a Nation était une manière de me réapproprier ces mots, de réparer une injustice et de transformer ce titre en source d’inspiration. Il soulève une question que nous devons impérativement nous poser si nous voulons réussir à surmonter cette épreuve ensemble, en tant que nation : lorsque l’injustice frappera à notre porte, la combattrons-nous de toutes nos forces ? » Nate Parker



D’un point de vue cinématographique, le réalisateur n’a pas un œil neuf. La mise en scène est classique et le rythme chancelant. Le regard est plus démonstratif qu’artistique, le militantisme l’emporte sur l’esthétisme. Malgré sa jeunesse, Nate Parker a un regard classique sur le cinéma et lorgne sur le Braveheart de Mel Gibson. Le metteur en scène n’hésitant pas à voir en Nat Turner une sorte de version afro-américaine de William Wallace.


Un moment de grâce reste toutefois, celui d’offrir aux oreilles un regard sur le « Strange Fruit » de Billie Holiday. Incroyable chanson où elle dénonce les lynchages des Afro-Américains qui avaient encore lieu à l’époque dans le sud des États-Unis. Les fruits étranges qu’elle évoque sont les Noirs pendus aux arbres de la Georgie ou de l’Alabama.


Il ne faut tout de même pas se leurrer. Ce Birth of a Nation est aussi un regard nombriliste puisque Nate le réalisateur s’offre s’offre le rôle principal du film qu’il a aussi coécrit, produit et porté à bout de bras pendant sept ans avant de le vendre à la Fox durant le Sundance Festival en janvier 2016 pour la somme record de 17,5 millions de dollars.


Cependant, il est difficile de ne pas porter un regard honteux sur ce qui a entouré le film. Il faut regarder en face la chute de Nate Parker, passé dans l'opinion publique du statut de réalisateur surdoué à celui de violeur d'étudiantes blanches. Car cette affaire donne un regard trouble sur le réalisateur. S’il faut garder à l’esprit de séparer l’œuvre de son créateur, il ne faut pas non plus détourner le regard. Tout d’abord sur l’accusation de viol, qui ne doit pas être occultée. Pour ça, je vous renvoie à la note du blog BD Commando Culotte de Mirion Malle, sur l’impunité des hommes (célèbres). Ensuite, il faut aussi regarder l’Histoire et ce qu’elle nous raconte. Et je reprends ici l’analyse d’un article de Vanity Fair : « Dans le cadre de sa révolution, Turner avait formellement interdit le viol pour la raison qu’il ne voulait pas s’abaisser à faire aux Blancs ce que ceux-ci infligeaient aux Noirs dans le cadre de leur toute-puissance esclavagiste ». La mise en lumière de l’accusation de viol par Nate Parker « reflète une psychose américaine qui a traversé les années depuis l'époque de Nat Turner pour éclore de nouveau en 2016, intacte : la peur sudiste du viol de la Belle du Sud ».

Caledodub
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le 3 mars 2017

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