En 2021, l'excellent Dune fut devancé (et de loin) par le médiocre Spider-Man: No Way Home, qui marquait certainement le réel retour en force de l'industrie hollywoodienne après la crise du Covid-19, tout en rappelant l'hégémonie du genre super-héroïque. Un succès au symbole fort et dommageable, marquant le règne d'un cinéma hollywoodien fondé avant-tout sur de la consommation: No Way Home est oubliable et s'appuie finalement uniquement sur le phénomène de nostalgie de ses spectateurs. En 2022, The Batman pourrait alors être vu comme un énième retour en force du blockbuster «d'auteur», surtout du blockbuster ambitieux, et du film de super-héros qui serait autre chose qu'un simple divertissement, autre chose que le «parc d'attraction» dont parle Martin Scorsese. A l'image de ce plan déjà iconique de Batman guidant la foule à travers les pénombres: un «bat-signal» d'espoir, ou de petite vengeance hollywoodienne oubliable?


The Batman n'est pourtant pas d'avant-garde hollywoodienne dans la mesure où tout ce qui est entrepris a déjà été amorcé auparavant: l'approche de polar mêlé au super-héros est déjà au premier plan dans The Dark Knight, et la noirceur, la violence, en reflet d'une autre violence, sociale, sont revendiquées, dans un Joker. On remarquera la présence commune à ces deux films de ce Joker, personnage mythique s'il en est puisque symbole ambulant (bien que plus humanisé par Todd Philips), qui est ici remplacé par un de ses ersatz, un Riddler intéressant mais marqué par un moteur quasiment anarchiste proche du précédent personnage et par un jeu d'acteur quelque peu poussif de la part de Paul Dano, qui semble vouloir prouver à chaque seconde sa maladie mentale.
A priori, Reeves (et c'est bien un des reproches que l'on peut faire au film, d'autant plus que celui-ci reste très largement dominé par son inspiration première, Seven) ne créé donc rien bien de nouveau, mais reste ancré dans un courant de néo-blockbuster-noir-sombre. Là où se démarque pourtant son film, c'est bien dans son nouveau traitement de ces éléments, réellement intéressant, que ce soit esthétiquement ou de manière narrative. Car si Joker montrait (que l'on ait apprécié ou non son traitement) un malaise social du point de vue de la victime, individu broyé par la société, The Batman se positionne à l'opposé, auprès du justicier oppresseur quelque peu fasciste (comme le montre cette brillante introduction dans laquelle même l'homme sauvé a peur de cette bête), auprès du fils du maire corrompu et corrompant.


Il capte alors l'essence du personnage de Batman comme rarement avant-lui, son grand symbole (à l'image de ce plan légendaire que vous devez sûrement avoir en tête), son costume comme enfermant Bruce Wayne, reclus, meurtris, tiraillé entre son désir de justice, son désir de vengeance et presque un sentiment de nihilisme.
A ce titre l'introduction du film reste marquante, on pourrait dire presque expressionniste, et mêle à perfection le gothique du Batman de Tim Burton au réalisme de la trilogie de Christopher Nolan: Gotham est une ville sale, pluvieuse, un cloaque fait d'ombres et d'obscurité, comme inondé par le vice et le crime. Le Batman de Robert Pattinson rentre alors parfaitement dans ce décor, un véritable monstre qui n'est finalement qu'un reflet des criminels, camouflé dans l'obscurité, une peur omniprésente, et accompagnée par le rythme proche d'une marche funèbre d'un Michael Giacchinno, au talent finalement bien supérieur à la qualité de ses productions habituelles (voir la banale bande-originale de No Way Home par exemple).
Dans cette mesure, Reeves semble réussir parfaitement son film, à tel point que la brutalité, la violence voire même une touche d'horreur ne sont jamais loin dans ce film pourtant «PG-13», à l'inverse d'un Joker pourtant «rated R»: car même sans avalanche d'hémoglobine, il parvient à insuffler avec aisance une noirceur inhérente au personnage de Batman, et pourtant bien trop absente des versions de Nolan ou de Snyder qui ne font qu'effleurer maladroitement ce caractère.


Il semblerait alors d'un premier coup d’œil que The Batman soit une totale réussite, à laquelle on espérerait une conséquence durable dans l'industrie hollywoodienne. Simplement, le projet, qui, malgré son envie de clamer une indépendance thématique et esthétique par rapport aux univers étendus DCEU et MCU, reste une production hollywoodienne super-héroïque, peine alors durant ces trois longues heures (comme une envie louable de retrouver la grandeur hollywoodienne après une avalanche de films de streaming oubliables) à maintenir ses ambitions. Rapidement, ce qui est insufflé expire, laissant voire les réelles lacunes du long-métrage, qui, pour contrer ces manques, tombe dans le grand-guignol.
Ainsi du personnage de Batman: captivant à prime abord, il ne peut avoir un arc de remise en question réellement abouti (le drame de Thomas Wayne est relativement facilement écarté) sans que le système hollywoodien et ses héros parfaits soit perturbé, Reeves insiste alors bien trop sur ses artifices d'adolescent perturbé. La voix-off rocailleuse de Robert Pattinson, plutôt charismatique d'abord, amuse donc ensuite tant Reeves compare, implicitement dans le film avec sa citation de Something in the Way, puis explicitement en interview, Batman à Kurt Cobain, d'une manière quelque peu grotesque.
De même, le caractère social intéressant, voire captivant quand on y rajoute quelques références modernes, tel le dernier acte qui n'est pas sans rappeler le siège du Capitole du 6 Janvier 2021, dégonfle comme un ballon de baudruche au cours des trois heures, tant il est répété, martelé, sans cesse, malgré son évidente simplicité, jusqu'à l'inattendu ridicule diatribe, sauce «Black Lives Matter», contre les «riches mecs blancs privilégiés».


Ainsi, The Batman souffre de carences propre au système hollywoodien, et ce jusqu'à une de ses dernières scènes, à la fois inutile, mal jouée et ridicule, qui propulse le film dans une logique de suite et d'univers décevante.
Un vrai «bat-signal» hollywoodien? Peut-être pas totalement, mais l'on a envie tout de même de croire en l’œuvre de Reeves. Tout d'abord parce que, en dehors des résultats parfois décevants et compromis, le film cultive une ambition si ce n'est risquée, du moins sortant drastiquement du lot des banalités super-héroïques que l'on peut voir depuis la sortie de *The Dark Knigh*t en 2008.
Mais surtout, surtout, parce que le film s'accompagne d'une prodigalité technique, propre déjà au Dune de Denis Villeneuve, rarement vu de nos jours, un savoir-faire impressionnant (cette scène de course-poursuite brillante, de la mise en scène au montage, en passant par le sound design jouissif), une esthétique magnifique, oscillant entre les clairs-obscurs du Parrain et un ton rouge monochrome qui sied parfaitement à la douleur de son héros tragique.
Si on peut douter du réel talent de Matt Reeves, plus proche d'un faiseur que d'un véritable auteur, Greig Faser, directeur de la photographie, est voué à de grandes œuvres. Un détail, mais déjà majeur dans le gouffre hollywoodien des DCEU et MCU, dont la pauvreté scénaristique n'a d'égal que la faiblesse esthétique de leur mise en scène.

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le 17 mars 2022

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