Tetsuo
7.2
Tetsuo

Film de Shinya Tsukamoto (1989)

Fougueux et détraqué. Comme une pustule, une démangeaison qui ne demande qu’à se désagréger. Tetsuo, c’est une tempête esthétique, une tornade auditive, le cri d’un esprit frappeur qui viendrait hanter une bobine de toute de sa folie. De cette déflagration cinématographique qui se déploie entre cinéma amateur et soubresaut cyberpunk, Shinya Tsukamoto fait appel à l’infiniment grand et l’infiniment petit, dans sa manière de colmater les brèches de la conscience par l’incision de la matérialité du métal, et dans sa faculté à rassembler l’expérimentation visuelle et les gimmicks du cinéma genre (horreur, kaiju). Tetsuo qui prend les formes d’une teinture faite de noir et de blanc fait irrémédiablement penser à une œuvre non moins incroyable : Eraserhead de David Lynch, surtout dans son approche cartographique des paysages industriels monochromes d’une société plus ou moins dystopique où l'humain serait un détritus comme un autre, et dans l’évocation de la fissuration du couple par le refoulement d’un soi-même.


Il est difficile d’analyser, de déchiffrer tous les vices de l’œuvre même si les bribes narratives de la culpabilité d’un couple après un accident de voiture se dévoilent d’elles-mêmes. Cependant, Tetsuo est avant tout une œuvre qui se parcoure et se savoure à travers sa voracité transformiste, la schizophrénie de son montage saccadé, la mutation métaphorique de la gangrène sociale (Godzilla), et cette haine communicative et horrifique dans la symétrie des corps dont la chair et le métal ne feront qu’un.


Tetsuo est comme une introspection dans le squelette humain, comme une réponse sur l’Homme à l’Etat de nature : celui de la machine. Cette banalisation de la routine du quotidien, cette législation presque immorale à la frustration de l’homme du bureau, qu’on verra par la suite aussi dans Tokyo Fist ou Bullet Ballet, est une notion qui alimente Tetsuo. Ce dernier se nourrira de cette genèse pour fragmenter le rapport entre l’Homme et la machine. Et même plus que ça, entre la matérialité du métal et la chair, l’enveloppe organique des êtres humains. Un long métrage qui invoque la naissance de l’Homme. Sauf, que dans sa dynamique, c’est avant tout l’expérimentation qui prévaut et fait de Tetsuo, un rouleau compresseur qui s’échine à écraser, à dévorer, à courir, crier, à démontrer l’imagerie de sa puissance ou la puissance de son imagerie.


Car l’œuvre de Shinya Tsukamoto ne lésine pas sur les effets et n’a aucune crainte à dévier du chemin initial, de sortir de ses gonds, pour lier sérieux viscéral et humeur burlesque grand-guignolesque. Mais ce virage de ton, cette contre plongée dans les genres n’est pas un problème majeur en soi, ni de la fumisterie de remplissage. Tetsuo, derrière sa mise en scène expressionniste est un vivier d’émotion rare qui se délègue entre la fascination du morbide et une empathie transgressive et fétichiste, qui fait intervenir l’incantation au désir. Par ce biais, Shinya Tsukamoto a beaucoup en commun avec David Cronenberg, Les deux cinéastes partagent non seulement la fascination de la vulnérabilité, de la blessure et la mutabilité de la chair, dans l'esthétisme des mœurs et du rapport sexuel. Les films du Canadien (Videodrome ou Crash) exhibent souvent le sexe comme catalyseur à la mutation ou la détérioration du corps.


Pourtant dans Tetsuo, la transformation de l'homme en « grotesqueries » métalliques a clairement une connotation sexuelle, dans la pénétration du désir frustré et soumis de l’Homme, comme cet hilarant et effrayant pénis remplacé par un énorme phallus en forme de perceuse électrique ou lors de ce rêve de soumission sodomique. Tetsuo dégage une monstruosité singulière où tous les motifs clés des futurs films du réalisateur japonais sont présents et restent à l'état embryonnaire ici : la transformation physique et la transgression de l'identité personnelle, l'expression violente de colère réprimée et le désir, les relations de pouvoir sadomasochistes entre les hommes et les femmes.

Velvetman
8
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le 1 avr. 2016

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