Alors qu'on se retrouve dans une année compliquée où une crise sanitaire inattendue et sans précédent à profondément impacté le monde, le monde du cinéma en a aussi souffert suite à la fermeture pendant de long mois des salles de cinéma mais aussi l'arrêt des tournages en cours et à venir ainsi qu'une reprise incertaine qui pousse bon nombres de films à repousser leur date de sortie. 2020 au cinéma apparaît donc de plus en plus maigre tandis que le secteur se voit fortement impacté sur le plan économique cherchant un film au potentiel pour re-fédérer le public et le ramener en masse dans les salles malgré la situation sanitaire. Clairement le nouveau film de Christopher Nolan, lui qui est devenu un gourou pour les aficionados de cinéma, Tenet semble le parfait candidat pour cela. Chose dont semble avoir conscience son auteur déterminé à le sortir durant l'été et vite intronisé comme sauveur du cinéma malgré les nombreux reports de son film.


Mais malgré une foule de rebondissements, Tenet a pu sortir au cinéma quasiment partout dans le monde et semble même avoir eu une première semaine sous le signe du succès. Clairement un mastodonte dans une année où les blockbusters se sont fait très rares et qui en plus propose un concept pour le moins assez original dans ce qui semblait être un scénario riche et complexe où Nolan revenait un peu à l'ADN de son très réussi Inception. Tout les signaux semblaient aux verts pour un film qui malgré tout s'est confronté à des retours plutôt mitigés par rapport aux standards nolanien. Même si le cinéaste à toujours ses défenseurs qui le défendront bec et ongles aveuglément, ce qui fait qu'exprimer un avis nuancé sur son cinéma s'avère toujours délicat car le blâme incombe toujours aux spectateurs inattentifs, une manière polie de ne pas dire idiot, plutôt que des vraies lacunes du style nolanien.


Pourtant, depuis Inception, dernier coup d'éclat de sa carrière, Christopher Nolan a tendance à créer un déséquilibre en construisant ses films sur des séquences fortes qu'il peine parfois à lier les unes aux autres. The Dark Knight Rises montrait son désintérêt progressif autour du personnage et de sa mythologie, Interstellar apparaissait brillant dans ses idées conceptuelles mais souffrait d'une exécution pompeuse tandis que Dunkirk semblait plus passionné par sa pirouette temporelle que son histoire. Et en revenant à quelque chose de plus proche d'Inception, Nolan semblait promettre de livrer un nouveau grand morceau de SF innovant et audacieux. Et même si il l'est d'une certaine manière, Tenet apparaît aussi comme terriblement classique dans la filmographie de son auteur, où en dehors de quelques idées formelles grandioses, Nolan semble se reposer un peu trop sur ses acquis.


Bien plus reminiscent de Dunkirk que de Inception, Tenet en partagera beaucoup de ses défauts mais donc aussi de ses qualités. Muni d'un scénario pas aussi jusqu'au boutiste qu'on pourrait le dire, Tenet permet à Nolan de faire ce qu'il a toujours rêvé de faire, réaliser un James Bond. Reprenant bon nombre de codes du cinéma d'espionnage, au point d'en devenir très codifié, Tenet est un film à l'intrigue plutôt simple et prévisible qui se complexifie grâce à l'apport d'un concept temporelle qui tente de faire son originalité. Comme pour Dunkirk, où Nolan à voulu apporter un twist temporel à son film de guerre, le cinéaste aurait vraiment gagné à jouer la carte d'une approche plus classique même si la temporalité fait partie intégrante de ses thématiques, son concept à un peu tendance à étouffer ses personnages et les empêche de s'affirmer au sein du script ce qui tue toute émotions. Tenet est d'une froideur terrible et montre que Nolan à perdu le sens de ce qui faisait aussi la force de son cinéma, Inception étant une telle réussite non pas que pour son audacieux concept mais surtout pour la manière dont il l'utilise pour mettre en lumière l'histoire profondément humain qui réside en son cœur.


Ici, rarement une intrigue de Nolan n'aura paru aussi mince une fois dépouillée de son concept tant il en devient l'attraction principal servant de prétexte à l'action et aux développements des personnages. Cela ne serait pas nécessairement un mal si en plus celui-ci s'avérait cohérent et bien exploité. Posant lui-même des règles qu'il trahira plus tard tout comme il ne parvient jamais à s'exposer correctement. Là où dans Inception Nolan prenait la première heure de son film pour y poser ses règles avec une cohérence et une limpidité exemplaire, dans Tenet il se perd dans les méandres de sa propre pseudo complexité au point d'en être qu'une exposition continue essayant même encore de justifier et expliquer son concept alors que le récit embraie sur son dernier acte. On se retrouve donc sous une avalanche constante d'informations parsemées dans des dialogues souvent très lourds. Tenet venant finalement beaucoup trop souvent confondre complexité avec confusion.


Car confus il l'est, au point même d'en oublier les personnages plus effacés les uns que les autres. En ça, le protagoniste est une page blanche assez embarrassante tant il n'en devient qu'un ersatz James bondien dénué de la moindre personnalité. Il ne sert finalement que de moteur à l'action et il en devient difficile de s'engager dans son parcours. Il faudra se tourner vers son sidekick pour avoir un personnage plus intéressant, qui aurait même pu vraiment s'avérer passionnant si le film avait pris le temps de donner de l'épaisseur à sa dimension tragique, ne devenant qu'un élément à alimenter des théories mais dont l'implication concrète dans le film reste trop succincte et maladroite. Et ce n'est pourtant pas la faute d'un Robert Pattinson transpirant de charisme et livrant une performance subtile et instinctive, donnant un peu d'humanité à un personnage qui en manque cruellement sur le papier. John David Washington quant à lui s'avère impeccable mais légèrement plus monolithique, ce qui fait qu'il se fait souvent voler ses scènes face à Pattinson, même si le duo fonctionne plutôt bien et aurait mérité plus de place à l'écran. Le reste du casting est plus anecdotique, Kenneth Branagh est plutôt bon malgré un rôle de méchant très caricatural et on passera difficilement sous la sous exploitation de Elizabeth Debicki, malgré son talent, qui prouve que Nolan peine toujours à écrire un personnage féminin intéressant.


Pourtant il essaiera de donner un peu plus de place à ses personnages et l'émotion dans son dernier acte mais c'est trop peu et trop tard pour n'être plus qu'une tentative timide. On reste donc face à un tout excessivement froid et qui en plus peine vraiment à exploiter son concept sur le plan narratif. Il est même dommage que Nolan nous dise via un de ses personnages que chercher à comprendre est inutile, privilégions plutôt le ressenti, alors que lui-même néglige l'aspect purement sensorielle en essayant constamment d'expliquer. C'est d'autant plus dommageable que ses plus grandes prouesses sont ici sur l'aspect formel. On pourra lui reprocher cela dit une photographie un peu trop terne, même pour ses standards, rendant l'image assez impersonnelle et aussi une exploitation un brin trop pompeuse de la musique pourtant inspirée de Ludwig Goransson qui dans la deuxième partie du film n'est employée que comme un habillage désincarné. Mais là où on peut saluer Nolan est sur son incroyable mise en scène. Clairement inspiré par son concept cela lui permet de mieux aborder son action, même si il peine encore vraiment à correctement la situer dans l'espace notamment dans un climax un peu brouillon, et se montre spectaculaire comme il ne l'a jamais été auparavant. Intuitive, énergique et audacieuse, sa mise en scène connait ici des sommets insoupçonnés permettant de gérer simultanément deux temporalités distinctes de manière particulièrement ludique et inventive. D'autant plus impressionnant qu'il se repose intégralement sur des effets spéciaux pratiques. Il arrivera à livrer ici et là quelques plans qui marqueront durablement la rétine et montre une radicalité dans son approche formelle qui crée des moments visuellement inattendu et jamais vu auparavant. Et cerise sur le gâteau, il s'accorde un prologue chirurgical et galvanisant qui s'impose comme une des meilleures séquences qu'il ait jamais réalisé arrivant pour la première fois à gérer son espace au sein de l'action, la rendant limpide et exaltante, tout en l'exécutant par le prisme d'une idée vertigineuse. Un grand moment de cinéma.


Tenet est donc un film qui peut s'illustrer de façon aussi bancal que formidable. Un film malade, handicapé par la confusion de son propre concept et l'incapacité de correctement l'exploiter et l'exposer sur le plan narratif. Sur bien des aspects, il est même le film le moins bien écrit de son auteur qui se perd et ne parvient même pas à créer une intrigue et des enjeux digne de ce nom. Cela s'avère décevant d'autant plus en connaissant sa passion pour le cinéma d'espionnage et qui aurait dû naturellement accoucher d'une de ses œuvres les plus explosives. Comme intimidé par son propre projet, Christopher Nolan paraît ici incroyablement timide, néglige ses personnages et l'émotion au profit d'un scénario inutilement cérébral et au final pas si complexe qu'espéré. Il peut néanmoins compter sur une mise en scène souvent vertigineuse où il parvient enfin à aborder son action de manière plus ludique, même si il souffre encore de quelques soucis d'impact et de spatialisation il y a ici une nette amélioration. Le casting charismatique arrive aussi aisément à faire le taf malgré des personnages très lisses mais le niveau de glamour est ici indéniable. En soit, en atténuant un peu son concept et s'intéressant plus à l'humain derrière la machination, Nolan aurait pu livrer avec Tenet un film d'espionnage moins original mais plus stimulant tant sa froideur et la suffisance de son script vient à laisser de marbre. Et par manque de renouvellement et de remise en question, Nolan est en train de doucement mais sûrement laisser ses défauts prendre le pas sur ses qualités, et par ce manque de recul il vient probablement de faire de Tenet un des films les plus faibles de sa filmographie.

Frédéric_Perrinot
6

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste 2020, l'aube d'une nouvelle décennie cinématographique

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le 1 sept. 2020

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