J'avais six ans, sept tout au plus. Je creusais des bouchons de liège pour en faire des cellules, et j'y engeôlais les mouches à viande qui tournaient alentour. Je les gardais dans ma poche, les réveillais en leur arrachant les ailes quand elles me semblaient trop molles.
Mes mouches de velours gris.

J'avais neuf ans grand maximum quand j'écrasais sous une fourchette la perruche de mon frère. Elle s'appelait Coco et je voulais voir si elle croustillait.
Mon oiseau au plumage de cristal.

J'avais douze ans quand j'assassinais les chats du voisinage. Je les mettais dans un mixeur, trente secondes, puis, suivant si c'était le matin, j'ajoutais du lait ou du coca. Parfois deux gouttes de Tabasco.
Les greffiers de mon coin avaient deux queues, sinon c'était des chattes. Pas de chats à neuf queues.

À quinze ans, j'euthanasiais l'affreuse chienne Bonnie de mon pote Lazein. Elle était vieille. Vieille et moche. Et puis maintenant, il y a prescription. C'était l'époque où il portait le cheveu long dans la nuque, court sur les côtés. T'imagines ?

Alors retrouver le Maestro...

Dario, c'est la famille. Alors je pleure.
Délaissant ses liaisons fantastiques et ses histoires de sorcières, Dario retrouve sa fougue d'adolescent en embrassant à nouveau son amour de jeunesse : le polar sadique et jaune.
Pas rancunier, le jaune, cocu, l'accueille à bras ouverts.
Réalisateur maniéré pour qui l'histoire importe souvent moins que l'audace, l'ambiance et la virtuosité formelle, Argento s'amuse avec les codes du Giallo. Caméra subjective, effroi dans les yeux des victimes qui nous regardent, apeurées, il sublime les scènes de crime, véritables tableaux de maître..
Alors que j'étais juste dans mon canapé. Avec une main dans le calbute c'est possible, mais bon, pas de quoi faire une attaque.

Ganté de cuir, son tueur est raffiné, il lit d'une voix douce au coin d'un feu, dans son vaste appartement décoré avec goût, et expose ses ténèbres. Défrichant l'indicible, le noir profond de l'âme, régi par d'autres règles, l'italien laisse le diable flotter et ses remugles chatouiller les chevilles, il découpe au rasoir pourvu que la chair soit faible et plutôt bandante.
Un érotisme qui dégouline, à chaque instant, comme des tétons qui pointent, arrogants, sous ce chemisier décidément trop léger pour la saison.

Dario envoie de la poudre argentée aux yeux, chorégraphie le voyeurisme et compose une comptine macabre où le mal danse sur du Goblin.
Son tueur porte un fardeau, exulte en une pulsion de mort, sexuelle, qui éjacule en tailladant les femmes. La réponse à sa torture mentale est la rage absolue, fatale, elle éclabousse de rouge les faubourgs.

Une brune sévèrement chaloupée en cleptomane de la culture, un clodo libidineux qu'a bien envie de lui mettre une cartouche, un flic un brin macho qui tise pendant le service (comme tous les flics), une femme aux seins lourds, enroulée dans un drap, laissant libre cette poitrine dressée en rempart à la nuit, un écrivain-enquêteur au balai dans le fondement qui dépasse un peu et puis, des chaussures rouges.

Film-testament, son dernier puisque, après ce petit chef-d’œuvre, Argento décédera brutalement, laissant un clone malhabile aussi laid que lui salir à la truelle une filmographie qui ne méritait pas ça, plongeant ses fans tristes et un peu honteux dans un embarras nauséeux à chacun de ses films qui s'annonce, encore.

Voilà pourquoi je pleure. Mais tu t'en fous, parce que t'as pas de cœur. Ordure.
DjeeVanCleef
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le 8 oct. 2014

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DjeeVanCleef

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