Il y a une séquence dans ce film qui pulvérise avec brio toute la connerie de la "cancel culture" et des cerveaux lavés qui veulent l'imposer, au cours d'un échange durant lequel le personnage principal, à ce moment-là, prof à la Julliard School, se fout de la gueule d'un de ses étudiants, rendu trop siphonné par les réseaux sociaux. C'est jouissif comme ce n'est pas permis. Mais vous allez me dire "ouais, mais la chef d'orchestre, faisant office de personnage principal, est une grosse connasse, donc, au contraire, son discours est décrédibilisé. Tu n'as rien compris. Tu es trop con !".


Cher Interlocuteur imaginaire malpoli, en quoi une connasse ne dirait pas de temps en temps des choses tout à fait exactes, tout à fait pertinentes ? Un crétin a sûrement sorti de sa bouche une parole intelligente lors de son existence, un être possédant un gros QI une parole d'une débilité profonde. En conséquence, connasse ou non, les répliques qu'elle lance sont autant de flèches visant juste. Ben oui, on ne va pas se mettre à arrêter d'écouter ou de jouer Bach parce que ce compositeur, principalement du XVIIIe siècle, auteur de très nombreuses merveilles absolues, était un mâle hétéro blanc peu porté sur le féminisme.


Il est à noter que, plus tard, dans une autre scène, durant laquelle, elle s'entretient avec son mentor, la protagoniste (ou plutôt antagoniste !) ne manque pas de se contredire lorsque son interlocuteur lui parle de la philosophie de Schopenhauer et qu'elle ne trouve pas mieux que de répondre que celui-ci avait poussé une femme dans les escaliers. D'accord, l'auteur de L'Art d'avoir toujours raison était une ordure, mais cela n'a rien à voir avec le sujet. C'est aussi bête que les pensées de l'étudiant sur Bach.


Disons qu'en toile de fond, l'ensemble égratigne et ridiculise la "cancel culture". TÁR parle bien de notre époque. Reste que dans cette optique, ce n'est pas le thème principal.


On suit une chef d'orchestre brillante, respectée, admirée qui est en fait une putain de perverse narcissique, doublée d'une prédatrice sexuelle.


La première heure la montre, maîtrisant à la perfection son image et sa communication, ultra-douée dans sa discipline, sûre d'elle à fond. Et, ensuite, c'est la dégringolade, les médiocrités se révèlent, la façade bien entretenue se craquelle, son petit monde ne se plie plus à ses désirs. Non seulement, elle n'hésite pas à bafouer toute idée de respect des autres, mais aussi son art (ce qui est dérisoire, évidemment, par rapport à la question de la dignité humaine, mais même par un angle uniquement artistique, elle est condamnable !), en s'arrangeant pour avoir à disposition, en usant de son statut, des proies potentielles. Elle s'en fout de sa compagne, de sa petite fille, d'autrui, de son art. Elle ne pense qu'à servir ses intérêts et ses besoins. Elle s'en fout du mal qu'elle peut faire, elle ne pense qu'à son bien.


Avant l'ère MeToo, ce type d'attitude était accepté, ou du moins ignoré, et avec cette particularité, pour les artistes, que leur talent était un passe-droit efficace pour être le pire déchet humain qui soit. Après, c'est une tout autre atmosphère et c'est surtout ça que le film évoque. Ce n'est pas la "cancel culture" qui annule la protagoniste (tant s'en faut, la tentative balourde de ce mouvement pour lui faire du tort est très vite jetée à la corbeille !), mais son comportement blâmable. Elle est la seule responsable de sa chute méritée.


Je ne connaissais pas Todd Field en tant que réalisateur. C'est la découverte d'une nouvelle filmographie pour moi. Ce n'est que son troisième film et il n'était pas passé derrière la caméra depuis plus de quinze ans. Cela traduit peut-être un soin à vouloir que tout soit bien préparé, avoir autant que possible tous les bons éléments pour qu'il soit réussi. Ce qui est très bien. Qui plus est, TÁR est une réussite (par contre, je n'ai pas saisi l'intérêt de balancer pendant dix plombes, au tout début, un générique présentant uniquement les techniciens "secondaires" !). Mais ce qui est le plus mémorable ici, c'est la présence de Cate Blanchett.


Et elle a beau être entourée d'acteurs et d'actrices qui en dégagent pas mal (Noémie Merlant, Nina Hoss, Mark Strong, Julian Glover !), on ne voit qu'elle. Ce qui n'est pas incohérent quand on fait le portrait d'une narcissique. La comédienne porte magistralement toute l'œuvre de la première minute jusqu'à la dernière, avec tout son charisme, pouvant être glaçante (quand son personnage contrôle tout !), pouvant tomber dans la rage la plus effrénée (quand son personnage se refuse à ce que tout s'écroule ; rien que la partie lors de laquelle elle joue (mal) de l'accordéon, en beuglant, est énorme... !). Sans elle, aussi bien scénarisé (ainsi que dialogué !) et réalisé qu'il soit, le film aurait perdu énormément. Ce qui rend compréhensible l'anecdote comme quoi Field n'aurait jamais tourné le tout s'il n'était pas parvenu à obtenir Blanchett pour incarner le rôle.


S'il ne devait y avoir qu'une seule raison de visionner TÁR (il y en a d'autres, bien sûr, que j'ai exposées !), ce serait pour rendre hommage à une interprète exceptionnelle.

Plume231
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le 25 janv. 2023

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Plume231

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