Si Danny Boyle est ce qu'il est aujourd'hui c'est en parti grâce à Trainspotting, son deuxième film. Sorti en 1996, celui-ci connu un succès auprès des critiques et des spectateurs au point d'en devenir une oeuvre culte qui est parvenu à marquer toute une génération. Basé sur le roman du même nom d'Irvine Welsh, il s'est imposé comme un film énervé et libertaire avec une vision particulièrement trouble et savoureusement satirique de la société contemporaine et d'une génération en quête d'elle-même. Même si il peut apparaître visuellement démodé de nos jours, il est encore thématiquement d'actualité. Alors pourquoi en faire une suite 20 ans après quand tout à déjà été dit, risquant même de dénaturer la fin délibérément ouverte du premier ? La réponse ici n'est pas d'adapter le deuxième roman de Welsh sur ces personnages, intitulé Porno, mais de faire une oeuvre testamentaire de 5 hommes vieillissants et qui tentent de rester dans la course.


T2 Trainspotting prend tout son sens au delà de sa simple histoire, car plus que les retrouvailles de ces quatre personnages qui ont marqué notre adolescence, c'est avant tout les retrouvailles de cinq artistes qui viennent rattraper le temps perdu. Cette suite gagne en épaisseur dans son propos méta, qui vient directement mettre au centre de son récit l'embrouille qui à éclaté entre le réalisateur et son acteur fétiche, Ewan McGregor. Après l'avoir évincé de The Beach en 2000, les deux ne se sont pas parlé pendant plus de 15 ans et trouve ici l'occasion de se pardonner et d'aller de l'avant. Plus que Mark, le personnage, qui retourne chez lui, c'est l'acteur qui retourne dans l'univers de Boyle. On ne peut s'empêcher de voir le parallèle entre la relation de Mark et Simon, son meilleur ami, et celle de l'acteur et du réalisateur qui en font clairement un événement cathartique. Et revoir ces deux-là retravailler ensemble à quelque chose d'indéniablement euphorisant, surtout qu'ils sont tout deux au sommet de leur forme. Ewan McGregor retrouve le personnage qui l'a fait connaitre avec aisance tandis qu'il lui insuffle un charisme nouveau. Les années ont plutôt été généreuses avec le casting qui n'a jamais paru aussi convaincant, le temps les as marqués et cela donne une profondeur et une gravité aux acteurs qui sied à merveille avec le propos du film. Robert Carlyle s'en sort d'ailleurs à merveille, son personnage étant celui qui connait l'évolution la plus significative du film. Il offre une complexité et une telle dualité à Begbie qui parvient à le rendre aussi attachant qu'émouvant malgré ses aspects les plus détestables.


Tout comme les personnages, on assiste à des acteurs qui viennent faire le point sur leur vie, tous n'ayant pas connu le succès. Le film trouve un double niveau de lecture habile qui donne à l'oeuvre une honnêteté et une sincérité qui se montre émouvante. Car si le film fait souvent référence à son prédécesseur et qu'il laisse faussement croire n'être qu'une réunion de vieux potes venus amuser la galerie sans avoir grand chose à dire, ce n'est pas pour offrir un pur objet nostalgique à admirer mais bien pour offrir une réflexion sur l'essence même de la nostalgie. Parlant de transmission, de regret et de stagnation, le film est un testament de ce qu'était le premier film. Il apparaît comme la réponse désabusée de ce dernier, où le monde n'a changé qu'en façade. Les addictions sont toujours les mêmes peut importe si elles se manifestent différemment, on reste dans une société consumériste qui évolue mais ne change pas tout comme les gens qui la peuple. Ici le rythme est différent, moins énervé et plus posé, le message est moins moqueur et plus désespéré et l'oeuvre est souvent traversé d'une infinie tristesse. On a plus affaire à des jeunes hommes mais des hommes en fin de vie qui pour autant cherche toujours leur place dans celle-ci.


Le film parvient à n'en laisser aucun de côté et offre à tout ses personnages un parcours satisfaisant. Que ce soit Bedgie qui prend conscience de sa nature, son affrontement avec Mark est d'ailleurs bouleversant émotionnellement, où les deux hommes ne peuvent se pardonner le mal qui à été fait malgré l'amitié bien réel qui les lient. Mais il y a aussi Spud, probablement le plus touchant du film, qui cherche à surmonter son addiction et développe une relation malheureusement sous exploitée mais très intéressante avec Veronika. Personnage féminin principal, elle représente aussi la jeunesse au sein de ses hommes vieillissants et elle arrive aisément à y sortir son épingle du jeu. Dans sa façon d'inspirer Spud mais aussi d’interagir avec le groupe, le film y trouve une belle manière de montrer l'héritage du premier film avec un passage de flambeau toute en pudeur. Même si il cède par moments à certaines facilités et qu'il offre des passages plus attendus, T2 Trainspotting reste admirable dans sa manière de ré-exploiter ses personnages parvenant à offrir une oeuvre riche et diablement intelligente qui marque par sa profonde sincérité.


Il est en plus réalisé d'une main de maître par Danny Boyle qui à clairement fait du chemin depuis le premier film. Beaucoup plus dans la recherche esthétique, il travaille beaucoup plus le traitement des couleurs et de la lumière pour densifier ses images. Il projette souvent du texte ou des images tirés du précédent film sur ces scènes, comme une ombre qui plane constamment sur les personnages, le poids d'un passé dont on ne peut se séparer. Les ombres étant d'ailleurs très travaillées dans ce film, ayant une vraie valeur symbolique. En ça, la photographie de Anthony Dod Mantle est formidablement léchée et sert à merveille la mise en scène enivrante de Danny Boyle. Le réalisateur distille en moyenne une idée innovante et inventive par scènes. Plans de caméras audacieux et totalement fou, incrustations bien pensées, citations habiles du premier film, etc. Rien n'est laissé au hasard et surtout rien ne se répète dans ce qui est un spectacle visuel constant où comme dans le premier film, Boyle joue avec le décor pour briser les barrières de la réalité. A l'image d'un plan de fin totalement fou et qui reste de mémoire comme une des plus belle et virtuose façon de clôturer un film vue depuis quelques années.


T2 Trainspotting est la conséquence parfaite à ce qu'avait été le premier Trainspotting. Une continuation logique qui rend hommage à l'esprit de l'original sans pour autant le singer. On a même affaire à deux films très différents car celui-ci porte vraiment le poids des années, au delà même de ses personnages. Plus qu'une réunion de potes attendue, c'est une oeuvre testamentaire et cathartique pour le réalisateur et ses comédiens qui font le point sur une vie qu'ils n'avaient probablement pas anticipé comme cela. La réponse à un film qui contre toute attente est devenu culte et qui a marqué son temps. Mais le temps est une chose qui nous dépasse, qui nous broie et T2 Trainspotting en fait son cœur. Car avec une honnêteté bouleversante il nous parle du temps qui passe là où le poids du passé reste et danse avec grâce dans l'ombre de son propre culte.

Frédéric_Perrinot
9

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le 7 mars 2017

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