Ce n'est que le troisième long-métrage de Jacques Deray, mais c'est à mon avis le meilleur de sa prolifique carrière. Hasard ou coïncidence, je n'ai pas cessé de penser à Jean-Pierre Melville en dégustant ce superbe polar noir à la française - dans lequel la police est d'ailleurs pratiquement absente.


Certes, Melville n'est pas le seul réalisateur français à s'être frotté au registre du film de truands, surtout à cette période. D'ailleurs, si l'homme au stetson vient de tourner "Le doulos" l'année précédente, sa filmographie comporte peu de polars en 1963, et la fameuse touche Melville est encore loin d'avoir été définie précisément et célébrée dans le monde entier.


C'est pourquoi il n'est pas question de reprocher une quelconque forme de plagiat à Deray, qui se contente de s'emparer avec talent de certains codes dans l'air du temps, que Melville lui-même se réappropriera à sa manière, et qui contribueront à écrire sa légende dans la décennie suivante : l'élégance vestimentaire des gangsters, les clubs (de jeux, de jazz...) qui servent de couverture, les voitures étrangères (ici les américaines, là une Jaguar), le thème de la destinée implacable...


La meilleure "preuve" qu'il n'y a pas copie de la part de Deray, c'est le motif du train couchette, un décor présent dans "Symphonie pour un massacre", PUIS en écho dans "Le cercle rouge" sept ans plus tard.


Dans la forme également, des similitudes surgissent de façon évidente entre le film de Deray et ceux de Melville : le recours au noir et blanc, une certaine lenteur, les dialogues plutôt rares et sans fioritures, les déplacements silencieux (on voit beaucoup marcher les personnages)...


"Symphonie pour un massacre" pousse la ressemblance jusque dans les défauts présents chez Melville : l'absence d'humour, un souci de vraisemblance parfois secondaire, une aisance moindre dans les scènes d'action (le meurtre dans le train couchette), ainsi que la place des femmes - belles mais au second plan.


Au-delà de cette filiation, "Symphonie pour un massacre" fait partie des meilleurs polars français de la décennie, s'appuyant sur un scénario solide, une mise en scène sobre relevée par le score entêtant de Michel Magne, et un très joli casting, duquel se distingue un Jean Rochefort jeunot et sans moustache, qui m'aura vraiment impressionné dans ce contre-emploi.

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le 30 avr. 2020

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Val_Cancun

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