S'il est une chose indéniable c'est que David Ayer est un gonze plutôt doué dans son genre. Remarqué grâce à son script de Training Day en 2000, Ayer sera rapidement passé à la réalisation de polars plus ou moins réalistes spécialisés dans la description de la corruption policière californienne. Ses très bons Dark Blue, Bad Times(un faux polar), Au bout de la nuit et surtout son Fury (drame guerrier à la puissance dramatique rare) l'auront vite fait passer pour un cinéaste à part au sein du panorama hollywoodien actuel. D'où l'étonnement d'un certain public lorsqu'il fut annoncé à la réalisation de ce Suicide Squad, une adaptation de la série de comics du même nom, censée poser en trombe un troisième chapitre du DCU, l'univers cinématographique étendu des super-héros DC.


A priori l'idée de confier un titre comme Suicide Squad à un cinéaste comme Ayer semblait pourtant prometteuse, la patine sordide et pseudo-réaliste du réalisateur s'accordant parfaitement avec l'idée d'une bande de criminels incurables jouant les justiciers malgré eux dans les artères d'une cité en ruine. Puis les premières images du film (je pense à la toute première bande annonce empruntant le Bohemian Rapshody de Queen) annoncèrent quelque peu la (les) couleur(s) en suggérant un actioner débridé à l'esthétique chatoyante et peuplé de grands tarés et de vilaines garces. Ce qui suffit à l'époque à l'auteur de ces lignes pour se plaire à imaginer Suicide Squad comme une sorte de croisement post-moderne entre le New York 1997 de Big John et l'antique jeu vidéo Loaded sorti sur la toute première Ps1 et sur lequel l'adolescent que je fus passa de nombreuses heures à dézinguer du vilain monde. D'autant que cette adaptation était censée donner la dragée haute à de nombreux méchants du Batverse tout en raccrochant les wagons avec l'inégal (mais toujours plus réussi) Dawn of Justice, sorti quelques mois plus tôt.


Imaginez seulement à quel point ça aurait pu le faire, une adaptation aussi vive et teigneuse que les comics d'origine, un Dark Knight légendaire que l'on ne ferait ici qu'évoquer, des anti-héros tous aussi cruels les uns que les autres, un Joker tout aussi dangereux et charismatique que l'était celui de Ledger, une ambiance de déreliction et de chaos urbain, un véritable Tueurs nés à la mode des années 2010. Ça aurait pu être possible, d'autant que l'irrévérencieux Deadpool avait largement ouvert la voie en matière de liberté créative, de mauvais goût et de violence décomplexée. Sauf que la Warner aura plusieurs fois demandé à Ayer de revoir sa copie et d'édulcorer la violence de son film afin que celui-ci puisse brasser le plus large public à sa sortie en salles. Et le réalisateur n'étant ni Nolan, ni même Tim Miller, se sera simplement contenté d'acquiescer comme un vulgaire yes man avant de chier outrageusement sur sa bande et les espoirs de bon nombre de fans.


L'ironie dans tout ça c'est que l'idée à finalement payé. Véritable film de producteurs, sans âme et sans une once d'ambition, Suicide squad à cartonné au box-office, au point que beaucoup trop de monde le considère aujourd'hui comme un bon film. Pourtant on ne m'enlèvera pas de l'idée que ce navet ne vaut clairement pas mieux que le Daredevil avec Ben Affleck ou même les Ghost Rider de l'ami Nicolas. Même genre de spectacle, tout dans le visu, rien dans le script, et la Warner de se tirer une balle dans le pied pour la suite de son DCU en dilapidant tout le potentiel du synopsis. Je pense entre autres à l'hypothèse d'un faux Joker (Jason Todd ?) qui aurait nécessairement induit l'attente de la véritable nemesis de Batman dans les films suivants, idée prometteuse mais évidemment risquée et que bien évidemment ni les scénaristes, ni les producteurs de cette daube n'ont eu l'intelligence d'explorer.


Alors oui, au premier abord, Suicide Squad semble remplir toutes ses promesses. Une exposition sympa, une présentation des personnages plutôt cool, rythmée par une B.O. piochant dans les plus grands standards rock des trois dernières décennies (Queen, Led Zeppelin, les Stones...). Après tout, ça avait bien marché pour Les Gardiens de la galaxy, pourquoi ça ne marcherait pas à nouveau ? Musique entrainante, photo léchée, découpage fun façon comic-strip, tous les ingrédients sont là dès le début pour séduire le grand public et en première ligne le jeune public.
Et la distribution d'enfoncer le clou. En quête d'un nouveau succès (car ça faisait quand même longtemps qu'il ramait au box-office) Will Smith s'offre le personnage de Deadshot, un tueur à gages à la dégaine insolite, particulièrement doué quand il s'agit de frimer en jouant du flingue. Puis on a la "révélation" du film, Margot Robbie, en pleine "ass"cension hollywoodienne, qui roule du derrière comme elle peut pendant tout le film pour que les geeks, ados pré-pubères et autres spectateurs trop indulgents pensent qu'elle est LA Harley Quinn idéale. Bien sûr elle est mignonne comme tout la petite Margot, ce serait sacrément hypocrite de dire le contraire, mais de là à boire la tasse dans une cuve de produits chimiques pour elle faut pas pousser.
Les autres membres de cet escadron particulier quant à eux, ne méritent pas qu'on s'y arrête plus que ça vu que Ayer lui-même n'a pas jugé qu'ils méritaient que son script s'y attarde. Seul Diablo, gangster incendiaire en quête de rédemption après avoir littéralement fumé sa famille, obtient quelque peu les grâces de l'objectif et se posera même en deus ex machina dans un dernier acte WTF où il se la jouera Transformers face à une divinité païenne dont on se fiche royalement. Boomerang (le comique pas drôle de service, incarné par le toujours aussi fadasse Jay Courtney), Killer Croc (le décevant nain reptilien du film), Katana (qui c'est ça ??) et l'indien qui n'est là que pour servir d'exemple lorsqu'il essaie de s'échapper, tout ce joli monde, ben on s'en contrefout. Quant à Rick Flag, il ne sert qu'à jouer les faire valoir, un flic dur à cuire, pétri de préjugés, assez con sur les bords et sans le moindre charisme (heureusement que Tom Hardy a refusé le rôle...). Son amourette avec June Moone ne fait jamais illusion, tout comme la menace représentée par l'Enchanteresse. Même Viola Davis rame comme elle peut pour donner une quelconque crédibilité à son personnage de raclure gouvernementale. Mais un script indigent étant ce qu'il est, les acteurs à eux-seuls ne garantiront jamais un chef d'oeuvre.


Pourtant vous voyez, autant de mauvais protagonistes ne m'aurait pas posé plus de problèmes que ça si ils n'avaient pas totalement râté mon préféré d'entre tous, ma grande idole, le vilain farceur. Croyez-le ou non, il y en a qui ont osé dire depuis que Jared Leto était le meilleur Joker du cinéma (sérieux, j'ai vraiment entendu ça). Je ne saurai conseiller à ces spectateurs faciles pour qui gangster rime avec bling-bling de retirer la merde qu'ils ont dans les yeux et de se remater au plus vite le Batman de Burton ou le TDK de Nolan.
Dans Suicide Squad, le Joker de Leto est un caïd vantard particulièrement agaçant, tatoué de la tête aux orteils et qui croit utile de préciser qu'il est "damaged" sur son front. Il sourit, ricane, se la raconte au moins autant que Vin Diesel derrière un volant mais n'impressionne jamais comme le Prince du Crime devrait le faire. Leto semble tellement obnubilé par l'idée de faire plus fort que son prédécesseur, se conférant un look assez ridicule pour l'occasion, qu'il échoue dans les grandes largeurs à incarner LE personnage inquiétant et charismatique dont on guetterait chacune des apparitions (comme c'était le cas dans TDK).
Mais si c'était seulement Leto le problème... Car dans le script de Suicide Squad, le Joker ne sert à rien, ou à si peu de choses. Il n'est ici que l'âme soeur damnée d'Harley Quinn, son lover au sourire carnassier, suffisamment fou pour se jeter dans un bain d'acide mais assez romantique pour le faire par amour (là où le vrai Joker se ficherait éperdument du sort de la jeune femme). Chacune de ses scènes fonctionne pour donner du grain à moudre au personnage d'Harley Quinn, qui entre deux admirables rotations du fessier, s'amuse à jouer les Bonnie Parker peinturlurée jusqu'à la dernière minute. Faites-donc le test, rematez le film et retenez toutes les scènes avec le Jo(li)ker. Si le personnage est bien évidemment lié à celui d'Harley Quinn, osez me dire que ce "clown" n'est pas totalement dispensable à la trajectoire du reste des protagonistes...


Le script lui suit les sentiers ultra-balisés d'un périple urbain mettant aux prises une bande de gentils bad guys avec des hordes de monstres caoutchouteux, plus ridicules qu'effrayants. L'idée étant évidemment d'exclure les effusions de sang à l'écran pour garantir la classification PG-13 du film, les producteurs ont évités de confronter des ennemis humains à la brigade suicidaire. D'où la trame surnaturelle du film, son macguffin moisi et la négation de tout ce qui fait l'intérêt des comics d'origine. Ici, les passages obligés se succèdent sans discontinuer, du morceau de bravoure de Deadshot au sacrifice final, en passant par l'exécution d'un prisonnier un peu trop épris de liberté, le sauvetage de Flagg et la scène où les protagonistes se jurent solidarité en trinquant au comptoir. L'intrigue est minimaliste, parfois agrémentée de caméos insérés au forceps, et s'achemine lentement mais sûrement vers un happy end des plus ridicules, porte ouverte à toutes les trahisons possibles aux comics.


Bref, si vous voulez avoir une idée de ce qu'est vraiment la Suicide Squad, je ne saurai trop vous conseiller de feuilleter quelques-uns des comics éponymes ou même, pour les plus réfractaires, de mater le dtv d'animation Assaut sur Arkham, bien plus crédible dans sa description de cette belle bande d'enflures. Là au moins pas d'enchantements en CGI, pas de rédemption à la con, mais une bonne vieille mission d'infiltration, entrecoupée de trahisons, de cruauté et autres coups de pute. Et cerise sur le gâteau, le bouffon de ce "petit" film a vraiment l'aura d'un Prince du crime.

Buddy_Noone
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le 24 avr. 2017

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