Stronger
6.3
Stronger

Film de David Gordon Green (2017)

Avec Stronger, David Gordon Green revient sur un attentat et ses conséquences dans la vie d’un seul être, censé représenter la nation toute entière, comme ses confrères la même année : In the fade notamment, à Cannes, ou encore le 15h17 pour Paris, que Clint Eastwood semble avoir transformé en un grande pub à la gloire de l’armée et surtout à la capacité « de gens ordinaires de faire des choses extraordinaires ». Mais comment interroge-t-on la figure du héros américain en 2018 ? Réponse en demi-teinte dans Stronger.


Nous voici donc plongés dès le début de Stronger dans la vie plutôt enfantine et maladroite de Jeff Bauman (qui existe réellement puisque c’est une « histoire vraie »), qui vit encore chez sa mère, fait rôtir des poulets et va regarder les matchs de foot avec ses copains en buvant sa « bière porte-bonheur ». Rien ne semble vraiment entacher cette toute petite vie tranquille sauf la « tristesse » d’avoir été largué par sa petite-amie, Erin. Cette dernière se laisse volontiers charmer par Jeff, mais refuse son côté « je ne veux pas vraiment m’engager ». Pour la séduire de nouveau, il lui promet donc de venir la soutenir lors du marathon de Boston. Comme on est en 2013, le spectateur se doute que Jeff se trouvera certainement à proximité de l’attentat perpétré cette année-là. Pour Erin, ce sera donc la fin de l’indifférence gentillette envers Jeff. Elle va s’engager pleinement auprès de lui, sans se poser trop de questions, allant jusqu’à quitter son boulot et s’installer chez la mère de Jeff. On sent bien que le réalisateur tente de nous dire qu’elle reste par culpabilité, mais ça n’est jamais assez et complètement interrogé. Comme s’il n’y avait qu’une seule figure possible : celle de la petite copine courage. Dès lors, Erin va alors se construire une image idéale du petit copain (et futur mari/père de ses enfants) que Jeff voudra bien devenir ou alors qu’il n’aura pas vraiment le choix de devenir, poussé jusqu’à l’extrême dans ses retranchements (dans une scène franchement douteuse).


Des larmes en pardon ?


Mais la véritable chronique que dépeint Stronger est celle de la ville de Boston (atmosphère de 2013 admirablement retranscrite) et de sa nécessité de se forger un héros vivant pour se prouver qu’elle a survécu, qu’elle est encore debout. Jeff va donc devenir héros malgré lui (il a vu le poseur de bombe et le décrit à la police), instrumentalisé autant par les médias que par sa famille de doux-dingues, ce qui donne lieu aux meilleurs moments du film, car les points de vue sont démultipliés. Si Jeff ne ressent pas le besoin d’être « Boston Stronger », il se laisse porter, jusqu’à refuser d’être sous le feu des projecteurs, mais pas pour longtemps. On comprend en filigrane qu’il souffre d’un syndrome post-traumatique, pour cela nous revoyons peu à peu les images de l’attentat et de la réaction de Jeff. Cette construction fait écho à une seconde, celle du récent Un jour dans la vie de Billy Lynn (réalisé par Ang Lee), lui aussi devenu héros suite à une réaction exemplaire lors d’une opération militaire qui tourne mal en Irak. Au cours de sa journée, où lui et sa section doivent faire l’ouverture d’un match lors de Thanksgiving, Billy revit la scène traumatique et interroge sa posture de héros. C’est aussi ce que fait Jeff, lui qui demandera à son sauveur d’aller plutôt aider quelqu’un d’autre. Le récit devient alors celui de la « prise de conscience » de Jeff, mais conscience de quoi, que la vie c’est sérieux ? On ne sait pas vraiment, car tout reste sous-développé et finalement assez convenu. La bascule vers cette construction linéaire et trop « attendue » se fait lorsque Jeff, dont l’évolution/les retours en arrière étaient plutôt bien calibrés au départ, rencontre son sauveur. Ce dernier va lui parler du drame qu’il a vécu et des raisons qui l’ont poussé à le sauver. Le parallèle avec un événement de la vie de Jeff va, semble-t-il, le bouleverser. Or, pour le spectateur ce face à face ressemble étrangement à une scène un peu trop larmoyante pour être vraiment un déclencheur. Au final, la scène où Jeff reçoit les confessions de la douleur d’autres personnes et se drape d’une grande bienveillance, voire d’une complaisance à recueillir la parole endeuillée pour émouvoir, tombe complètement à plat et achève de démolir l’entreprise de construction d’un héros mitigé du film. L’intrigue devient donc classique, larmoyante, peu passionnante. Jeff, qui a perdu ses deux jambes, se relève, l’Amérique aussi et c’est la romance qui prend le pas sur la réflexion. Il n’est pas sûr que l’on rende service aux événements, comme au travail de deuil national ou plus personnel et surtout au cinéma, et à sa capacité à prendre du recul sur la vie, le présent, avec des films comme Stronger.

eloch
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le 18 juil. 2018

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