Produit innovant à l’ergonomie discutable

Trois petites années après le Jobs de Joshua Michael Stern voilà donc le nouveau biopic consacré au célèbre co-fondateur d’Apple, le projet avait déjà fait couler beaucoup d’encre comme chacun sait pour ses multiples désistements, que ça soit Fincher, DiCaprio, Bale ou même Sony. Universal reprit la main pour introniser Danny Boyle à la réalisation puis Michael Fassbender dans le rôle titre, le scénario signé Sorkin posé sur la table depuis le début demeura je pense la source principale du maintien à flot, celui qui avait rendu passionnant le parcours de Mark Zuckerberg dans The Social Network, de quoi rester malgré tout confiant de la qualité du rendu final, il n’y avait pas de raison (...).


Le film est distinctement découpé en trois actes représentant trois moments de la vie de Steve Jobs, c’est je pense la principale qualité du film car il sort du schéma traditionnel du biopic, il n’a pas l’envie de se perdre dans une ligne communément appliquée et c’est tout à son honneur, d’ailleurs le fait que ces séquences soient quasiment en temps réel pour créer une immersion et une fluidité de mise en scène reste ambitieux. La première partie va se concentrer sur le lancement du Macintosh en 1984, échec commercial retentissant de la marque à la pomme, sur la mégalomanie maniaque du personnage, Boyle le dépeint comme un type détesté de tous, tel Jules César entouré d’ennemis guettant sa chute, cet acte est réussi dans le sens où il plante directement le contexte et ses protagonistes avec une efficacité redoutable, notamment grâce au jeu de Fassbender reflétant très bien le caractère hautain et vaniteux de Jobs. Demeurent quelques figures complaisantes lui tenant tête comme sa collaboratrice (Kate Winslet) et son PDG (Jeff Daniels), le film établit également les relations compliquées entre sa femme (Katherine Waterston) et sa fille ainsi qu’avec l’autre co-fondateur d’Apple Steve Wozniak (Seth Rogen), on comprend que l’ambition démesurée du créateur s’absout de tout sens philanthropique et murement raisonné, que ce dieu autoproclamé domine son destin, qu’il le provoque.


C’est bien ce thème de la fermeture qui est mis en avant, qu’elle soit à l’image de l’architecture conceptuelle de ses produits, de sa personnalité mais également du cadre, car dès la seconde partie se déroulant quatre ans plus tard précédée d’une ellipse statistique nous voilà replacé une nouvelle fois entre les quatre murs d’un auditorium à l’aube du lancement du cube NeXT. Cette redondance résonne comme une dégradation, montrant un Jobs blessé mais certainement pas à terre, délaissé par sa propre société ne supportant plus son entêtement, où la logique commerciale prend le pas sur l'innovation artistique, la double confrontation avec Wozniak et Sculley image bien cela, autant la première pousse un peu la symbolique de l’homme orchestre (dans une fosse orchestrale, la belle affaire) que la seconde use de flashbacks admirablement intégrés pour encore une fois placer le contexte, c’est malin, sans doute la meilleure scène d'ailleurs. L’unique progression altruiste de Steve Jobs réside dans sa relation paternelle, sa maladresse puis ce rapprochement presque naturel envers sa fille font que ça reste assez touchant, on arrive à distinguer le point sensible du personnage et cette cloison dont apparemment elle seule détient la clé, et la troisième et dernière partie va principalement tourner autour de l’idée de la reconquête, autant du marché informatique que de son devoir de père.


Pourtant cet acte qui nous téléporte en 1998 pour son retour à la tête d’Apple et le démarrage de la production de l’iMac trouve tout de même ses limites en terme de mise en scène, cette fois la redite à tendance à fatiguer, surtout en ce qui concerne la confrontation avec Wozniak, on en revient toujours au même point, la joute dans l’auditorium m’a semblé définitivement de trop, ça n’a plus rien à proposer à ce niveau là mais le scénario insiste en vain pour appuyer encore et toujours leurs désaccords idéologiques, il me semble qu’on avait très bien compris. Le personnage de Winslet est d’ailleurs à mon goût trop omniprésent, bien que l’actrice soit formidable (je l'adore mais j'ai vraiment fini par en avoir marre de la voir débarquer à tout bout de champ), cette constante répétition de séquences de dialogues s’étirant, et en définitive très/trop écrite voire théâtrale, fait que le film peine à véritablement trouver un second souffle et surtout un sursaut, Boyle habituellement adepte du montage survolté parait freiné par son sujet, reste tout de même une palette esthétique assez remarquable soulignant les époques et les représentations symboliques avec une élégance certaine. Le final quant à lui m’a paru basculer dans la facilité émotionnelle, venant régler les enjeux familiaux de manière bien peu subtile, tout en accentuant la glorification totale du type, ça tombe malheureusement à plat, bien que pour tout dire je ne sais pas trop comment il aurait pu en être autrement.


Steve Jobs reste un biopic qui prouve son originalité dans sa structure, Sorkin a réussit à donner un intérêt scénaristique à la vie de ce personnage pas nécessairement adaptable, le casting est exempt de tout reproche avec un Fassbender appliqué pour incarner les nuances de son rôle avec retenue et habileté, ce triptyque en un garde une évolution et des points d’ancrage identifiables, le tout dans un écrin harmonieux. Seulement je dirais que le film a en quelque sorte le défaut de ses qualités, car à force de nous enfermer à l’intérieur de ce concept narratif il fini par provoquer la lassitude, certainement trop sage, posé et causeur pour un metteur en scène survitaminé comme Danny Boyle, il est fort dommage que le film ne trouve pas son rythme de croisière en deux heures avec cette multitude d’idées de départ.

JimBo_Lebowski
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le 4 févr. 2016

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JimBo Lebowski

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