Rétrospectivement, il y aura eu un rituel presque magique en découvrant la troisième trilogie de la saga Star Wars, les erreurs de chaque Épisode ont pu à chaque fois être anticipées par le traditionnel texte défilant. Celui du Réveil de la Force fût répétitif et confus, celui des Derniers Jedi le reprit en le refaisant à sa sauce et L'Ascension de Skywalker ne déroge pas à la règle. À peine sommes-nous prêts à plonger une dernière fois dans la tragédie de cette famille maudite que J.J. Abrams sabote son suspense en révélant dès la première ligne le retour d'un vieil ennemi que l'on croyait disparu à tout jamais.


Reprenant les rênes de la Postlogie qu'il a auparavant lancé, le réalisateur a la tâche inopinée de conclure définitivement 42 ans d'aventures dans les étoiles et, ayant laissé sa place à Rian Johnson le temps d'un film, doit réimposer sa vision tout en trouvant le lien qui soudera les trois trilogies. Celui-ci se manifeste en l'Empereur lui-même, Dark Sidious, revenu d'entre les morts et déterminé à faire renaître l'Empire. Une solution de secours grotesque que Abrams met en place de la façon la plus balourde possible, voulant rester fidèle au schéma des précédentes histoires en donnant à Palpatine son heure de gloire dans l'ultime opus et le remettre sur le devant de la scène telle la menace tapie dans l'ombre mais étant incapable de lui offrir une réapparition digne de ce nom, gâchée par une mise en scène qui sombre dans le vulgaire dès qu'elle doit filmer le revenant et une excuse scénaristique impossible à gober.


Pouvait-on espérer que pour représenter l'étendue du danger, Abrams procède à une mise en sommeil progressive des pièces du damier de l'univers Star Wars pour signer sa désactivation finale mais cette fausse intention est systématiquement avortée en cours de route par son absence d'audace.


Ainsi, C-3PO fait un sacrifice mémoriel mais en fait non, R2 lui rend ses souvenirs; Chewbacca est accidentellement tué par Rey mais en fait non, il était dans un autre transport; Kijimi est anéantie avec toute sa population mais en fait non, Zorri Bliss a pu s'en sortir vivante on ne sait comment et la liste continue.


À l'inverse de l'Épisode VIII, J.J. Abrams n'a pas envie de choquer son public, il dit sans trop en dire pour ne pas se faire taper dessus, n'ose pas emmener son film vers des horizons différents et surtout, il n'arrive pas à articuler correctement son récit qui s'est fait hacher menu en post-production. Catastrophe de découpage, L'Ascension de Skywalker souffre de bêtises de montage hallucinantes


(la fuite de Pasaana coupée subitement alors que Kylo Ren et le Premier Ordre sont tout près, la révélation de la survie de Chewbacca en plein milieu d'une scène de discussion où les héros font leur deuil)


quand elles ne mènent pas à des rires gênés


(Chewbacca fait prisonnier hors-champ par les Chevaliers de Ren, la chose la plus proactive que ces guerriers font de tout le film)


qui effacent toute notion de temps et de distance.


À force d'avoir accumulé trop de personnages et de tares de développement (auxquelles se rajoutent le décès de Carrie Fisher), l'Épisode IX doit sacrifier énormément d'éléments des opus précédents (Maz Kanata, Rose et Hux qui font de la figuration d'à peine 5 minutes, les Chevaliers de Ren gâchés et interchangeables) tout comme il sacrifie ceux qu'il introduit (les Sith Troopers presque invisibles, de nouveaux combattants pour la liberté comme Jannah qui ont peu de temps pour briller, le Temple Sith sur Exegol et son arène de loyalistes), son rythme désastreux fait que l'on oublie tout ce qui se vient de se passer sous nos yeux même quand cela chamboule la situation de départ


(la mort de Leia)


et les facilités/incohérences ne cessent jamais


(Lando qui, sans explications, retrouve [deux fois] les résistants, les motivations idiotes de Hux, Zorri qui change d'avis sur Poe sans raison, l'infiltration sur le vaisseau de Ren, l'Empereur qui se foudroie tout seul comme un bleu).


L'un des plus grands défauts de Abrams, dans sa volonté de coller à l'image populaire de Star Wars, est qu'il ne raconte rien de neuf à travers ce qu'il revisite. Mark Hamill revient en Ghost Force uniquement pour réciter ce que les fans veulent qu'il récite pour réparer l'"outrage" commis deux ans plus tôt, Ian McDiamird porte une dernière fois le costume de Palpatine mais le plaisir de le retrouver est atténué par le fait que l'écriture ne lui permet pas d'apporter une facette neuve chez le Seigneur Sith, il est écrit dans le IX comme il serait écrit dans le VI. Et les symboliques sur les fantômes du passé (les Star Destroyers émergeant de la terre, l'exploration de l'Étoile de la Mort) échouent toutes puisque, depuis le début, la trilogie a fait comme si 30 années d'écoulées n'avaient eu aucun impact technologique, esthétique ou scénaristique sur le futur. Rébellion ou Résistance, le spectre de l'Empire n'a jamais quitté la galaxie et a même condamné les films à une quasi-continuelle non-créativité, bien avant le projet de ressusciter l'Empereur.


Pour autant, la suspension d'incrédulité est sérieusement mise à l'épreuve devant certains choix irréfléchis qui nous font demander si Abrams avait toute sa tête au moment de les tourner. Quand il ne part pas dans une surenchère absurde


(Palpatine a maintenant le pouvoir d'un Voldemort pour neutraliser toute une flotte rien qu'avec sa foudre, un croiseur équipé de canons Death Star peut détruire une planète à la même vitesse, pourquoi s'être embêté à construire le Strarkiller quand un millième de cette armada cachée suffisait à infliger bien plus de dégâts),


il copie en cachette le travail des autres


(le plan de l'Empereur est une adaptation officieuse des pires histoires de l'UE Legends, le montage raté sur les mondes libres repris des éditions spéciales, avec 2 planètes sur 3 qui n'ont eu aucun rôle dans cette Postlogie)


et va jusqu'à trahir la ligne directrice de Star Wars, démontant l'idée qu'Anakin Skywalker fût la clé pour rétablir l'équilibre et donnant un lien de parenté monumentalement bête à Rey qui détruit un peu plus l'aura mystérieuse et abstraite d'un des piliers de la saga.


La séquence finale tente de ré-accomplir ce que Lucas avait superbement réussi dans La Revanche des Sith avec la contemplation du coucher des deux soleils sur Tatooine mais sans l'âme qui s'en dégageait. L'Ascension de Skywalker se finissant comme Le Retour du Jedi, aucune leçon n'est tirée de ce voyage de 4 années qui pose en fin de compte les mêmes questions qu'en 1983 sur l'avenir des peuples et des gardiens de la paix, mais avec une héroïne à la psychologie si autocentrée que rien ne semble avoir été conclu sur ce qu'elle est au-delà de son nom de famille. Comme s'il y avait plus de choses à imaginer sur elle après ce point final plutôt qu'avant.


Le bilan est d'autant plus triste qu'il ne semble pas y avoir de mauvaise volonté derrière. Certains arcs ont la finalité qu'ils méritent


(Poe qui devient le nouveau leader de la Résistance, la Galaxie entière qui rejoint le combat entre les forces du bien et du mal, dommage que tout soit précipité et que nous n'ayons pas le droit de voir qui sont à l'intérieur de ces vaisseaux, d'identifier ces milliers de races qui, enfin, se lèvent contre les tyrans),


Abrams est toujours un minimum compétent pour bien emballer ses scènes d'action (les combats de Force entre Rey et Kylo Ren) et valoriser ses acteurs


(le transfert d'énergie de Rey avec les êtres vivants, le regard ému et attendu de Finn qui peut enfin dire adieu à sa vie de soldat, Adam Driver, décidément exceptionnel comme comédien, qui apporte des nuances de jeu puissantes pour distinguer Kylo Ren de Ben Solo, même Carrie Fisher a droit à une sortie de route à peu près convaincante alors que les moyens utilisés pour la garder étaient voués à l'échec).


et il y a cette envie de rendre un grand spectacle propre et dynamique mais il aurait fallu pour ça plus de temps, plus de préparation et surtout une meilleure base.


Dénouement décevant à l'une des plus grandes franchises cinématographiques, Star Wars : L'Ascension de Skywalker paie chèrement les bévues de la Postlogie et confirme, malgré certaines tentatives, l'inutilité absolue de se second épilogue à la saga épisodique. L'univers de La Guerre des Étoiles aura toujours du rêve à apporter mais ce rêve n'a pas su se concrétiser ici.

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le 20 déc. 2019

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Walter-Mouse

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