Est-il utile de revenir sur la polémique provoquée par les quelques idées originales de l'épisode 8 de Rian Johnson ? Bourré d'idées novatrices et de parti-pris stylistiques audacieux, Les Derniers Jedi a déclenché la colère des fans les plus conservateurs de la saga Star Wars qui ne supportèrent pas d'y voir un vieux Jedi défaitiste, une jeune héroïne sans origine prestigieuse et quelques nouveautés sacrilèges. A tel point que plusieurs milliers d'entre eux firent circuler une pétition sur le net pour convaincre les serviteurs de Mickey de refaire le film. Une réaction aussi excessive qu'absurde, très caractéristique des caprices geeks de l'époque (on se souvient encore des critiques de la dernière saison de Game of Thrones) et qui révèle surtout le gros problème actuel pour les artistes et les réalisateurs : il ne s'agit plus seulement pour eux de composer avec la frilosité des producteurs, mais bien de séduire tout un public de fans rigides, attachés aux codes les plus éculées de leurs sagas favorites, et donc incapables de tolérer la moindre tentative d'innovation.
Face à une telle volée de bois vert, les décisionnaires de Disney et de Lucasfilms prirent peur à l'évocation des quelques idées de Colin Trevorrow pour son Episode 9. Bien décidé à embrayer le pas de son confrère Rian Johnson, le réalisateur de Jurassic World choisissait de s'affranchir un peu plus du modèle de la trilogie originale pour explorer des perspectives narratives inédites. Trop risqué pour Kathleen Kennedy, dernière gardienne du temple Jedi, et sainte patronne de chez Lucasfilms. Prétextant le sempiternel désaccord artistique, la productrice préféra virer Trevorrow pour ré-embaucher le plus consensuel de ses collaborateurs, J.J. Abrams, dont le copier-coller de l'Episode 4 avait quand même suffisamment caressé les geeks dans le sens du poil pour que tous ronronnent en choeur. Charge à Chris Terrio (le génial scénariste de Justice League) d'écrire un scénario d'autant plus complexe qu'il devait à la fois séduire les déçus des Derniers Jedi tout en respectant un minimum les événements du film de Johnson, et boucler de la sorte, non seulement cette dernière trilogie, mais aussi tout l'arc consacré aux Skywalker. Soit toute la saga Star Wars au cinéma. Mission impossible ?


Au vu du résultat, on est en droit de se demander comment une saga pesant autant de milliards a pu échapper à ce point à un studio d'une telle importance. Comment est-il possible que des films d'une telle ampleur aient été écrits et préparés avec aussi peu de génie et d'un tant soit peu de cohérence ? Car tout le problème de cette dernière trilogie estampillée Disney tient là, dans le manque évident d'entente entre chacun de ses responsables et l'absence d'un seul et véritable chef d'orchestre, comme l'avait été Lucas pour les deux premières trilogies. Non pas que la prélogie était un modèle de narration réussie et de structure bien pensée, il aurait fallu pour cela que Lucas zappe la prime enfance d'Anakin et la cantonne à quelques flash-backs, pour se consacrer plus à son ascension dans l'ordre Jedi et sa participation à la guerre des clones, histoire de renforcer ensuite la puissance émotionnelle de la chute morale et physique du personnage. Mais Lucas gardait sa propre vision de la saga et, tout aussi imparfaite soit-elle, sa prélogie respectait une ligne narrative solide. Ce qui n'est pas le cas de cette dernière trilogie, qui donne plutôt l'impression d'avoir été écrit par différentes personnes incapables de s'entendre entre elles et travaillant chacune de leur côté en attendant l'aval de Kathleeen et de Mickey. Le Réveil de la Force bénéficiait ainsi de son aura d'arlésienne, les retrouvailles du public avec les héros de la première trilogie suffisaient à estomper le manque d'imagination flagrant de sa trame, qui se contentait de décalquer celle du film original. Conscient des lacunes du scénario d'Abrams et Kasdan, Rian Johnson avait alors essayé de concilier les attentes des fans et du studio, à savoir construire un second chapitre dont le fond serait tout aussi noir et dépressif que L'Empire contre-attaque, et ce tout en essayant de s'affranchir de la mythologie connue pour poser les bases d'une continuité inédite. On sait aujourd'hui tous les seaux de merde qu'il s'est ensuite pris dans la gueule, accablé de reproches par bon nombre de fans. Puis Abrams est revenu aux affaires et s'est donc vu hériter de la tâche particulièrement délicate de proposer un troisième opus qui devrait annuler à lui-seul toutes les tentatives narratives du film précédent.


Dès lors, si Les Dernier Jedi se concluait par la destruction de la Rébellion, la fuite des héros, la promesse d'une nouvelle idylle entre deux personnages et l'avènement d'un nouvel antagoniste (Kylo Ren devenait alors le bad guy principal de la trilogie), le début de L'Ascension de Skywalker désamorce, en l'espace d'un bref quart d'heure, l'intégralité des développements initiés par le film de Johnson. Persuadé qu'il ne peut que jouer la carte du fan service, Abrams n'attend pas plus de quelques minutes pour contenter le fans les plus rigides en convoquant le retour d'un personnage culte de la saga et ce, sans même prendre le temps de l'annoncer. Niant alors toute véritable continuité avec Les derniers Jedi, le texte déroulant de ce dernier opus nous informe donc, dès ses premières lignes, que Palpatine a miraculeusement survécu à son superbe saut de l'ange et que la rumeur de son retour fait peser une terrible menace sur la galaxie. L'idée et la mise en place sont d'une facilité déconcertante, voire carrément insultante pour les fans, et traduisent déjà le manque total d'imagination des auteurs qui préfèrent donc miser sur le retour de figures connues de la saga. Pire encore, le fait même que Palpatine ait survécu à la fin de l'Episode 6 annule toute la raison d'être de la prophétie de l'élu échouant à Anakin durant les deux premières trilogies. Celui-ci devait en effet, par le meurtre de son maître et son retour du bon côté, tuer le dernier Sith et restaurer l'équilibre dans la Force. Cette seule idée a apparemment échappé à Abrams et Terrio qui ont de la sorte flingué définitivement toute la cohérence de la saga. Rien d'étonnant à ce que George Lucas ait déclaré ensuite s'être senti trahi par Disney.


Tout aussi mal pensée puisse-t-elle être, la présence de Palpatine dans l'intrigue de ce dernier opus aurait par ailleurs, nécessité une plus longue mise en place pour le rendre suffisamment crédible, un peu comme elle avait été amenée dans Le Retour du Jedi, par l'évocation de l'existence de l'Empereur dans L'Empire contre-attaque (via quelques dialogues et la scène de l'hologramme). Le scénario de L'Ascension de Skywalker aurait d'ailleurs clairement gagné à jouer de l'idée du retour de Palpatine comme d'une rumeur montant en puissance au cours de l'intrigue, nourrissant le mystère et les dialogues des protagonistes, et ce jusqu'à la confrontation finale. Hors là, dès les premières minutes du métrage, Abrams lance in media res Kylo Ren sur les traces de l'Empereur déchu et nous révèle déjà le vieux Sith, reclus sur Exegol (la planète des Sith) dans un immense temple dont on ne sait, là-aussi, quasiment rien. Un bref travelling nous révélera un sordide laboratoire où pourrissent dans des cuves les clones du mystérieux Snoke dont on a à peine le temps de comprendre qu'il n'était que le pantin de l'Empereur. Inutile de chercher la moindre logique dans cette exposition, ni même d'espérer une explication plus poussée de la part des auteurs, les réalisateurs et scénaristes actuels (de chez Lucasfilms, comme de chez Marvel ou Warner) ayant désormais la fâcheuse tendance de justifier les lacunes de leur film bien après leur sortie en salles. Ainsi, Abrams profitera-t-il d'une interview pour nous expliquer que son Palpatine est en fait lui-même un clone de l'Empereur, affaibli et rongé par la puissance de l'esprit du Sith déchu. Ce qui n'a rien d'évident quand on regarde le film. On aimerait alors demander au réalisateur et à son scénariste s'il était si difficile que ça d'expliciter au moins la nature du nouveau Palpatine au détour d'une ou deux répliques de leurs différents personnages, plutôt que de tout (sur)expliquer eux-mêmes hors-film, lors de leurs divers entretiens avec la presse et de la novélisation du long-métrage.


Bon mettons... le vieux Sheev est revenu, sans lifting et toujours sans détartrage. Il conserve sa sale gueule burinée de sorcier maléfique mais semble aussi souffrir de sa chute. Désigné comme "le grand méchant à abattre" (en plus d'être un ressort narratif utile pour contenter les fans déçus des origines anonymes de Rey), il est celui qui occasionnera bien évidemment l'alliance de tous les partis, et donc la rédemption attendue de Kylo Ren. Après tout, pourquoi changer une formule qui a longtemps fait ses preuves ? Le problème ne tient pourtant pas seulement au retour de ce personnage emblématique, facilement casé en début et fin de métrage, mais tient aussi au fait que tout ce qui suit trahit un mauvais travail de concertation entre le réalisateur, son scénariste et son studio. Tout le premier acte du film donne ainsi l'impression de précipiter son action sans vraiment raccrocher les wagons avec la fin du précédent opus. La résistance est à nouveau nombreuse, bien plus que ce qu'il en restait à la fin du précédent film; le personnage de Rose Tico, primordial dans Les Derniers Jedi, est ici facilement écarté de l'intrigue; les jeunes héros quant à eux, sont enfin réunis et se précipitent sans attendre à la recherche d'un vulgaire macguffin (l'Orienteur) censé révéler les coordonnées de la cachette de l'Empereur; et Kylo Ren se lance encore une fois seul (alors qu'il a tout une armée à ses ordres), à la recherche de Rey. La mise en scène et le montage traduisent d'ailleurs toute l'urgence de l'intrigue dès cette exposition, tant les scènes se suivent à un rythme débridé, sans réel souci de cohérence narrative et de transition séquentielle. On est d'ailleurs très loin des scènes spectaculaires du gouffre du Sarlaac, de la bataille de Hoth, ou encore de celle de Coruscant ouvrant le troisième épisode.


Le même problème d'écriture vérolera toute l'intrigue : dans cette urgence de résoudre tous les enjeux de la dernière trilogie (et par extension, de toute la saga), L'Ascension de Skywalker ne prend jamais vraiment le temps de proposer un seul moment réellement mémorable pouvant rivaliser avec au moins une scène culte des précédents films. Un comble quand on considère la dimension mythique d'une franchise qui s'est autrefois distinguée pour tous ses morceaux de bravoure. On touche d'ailleurs là aussi au problème de l'essentiel de cette dernière trilogie : en comparaison avec les deux premières, celle de Disney propose trop peu de séquences marquantes pour pouvoir rester durablement dans les mémoires, la mort de Solo et de Luke (voire celle de Snoke) pouvant tout juste, par leur caractère dramatique, retenir l'attention du spectateur. L'Ascension de Skywalker se regarde et s'apprécie ainsi comme un bon divertissement mainstream comme il y en a beaucoup aujourd'hui. La contrepartie c'est qu'il s'oublie aussi très facilement ensuite. Il n'y a rien qui sorte vraiment des sentiers battus, rien qui réponde aux questions laissées en suspens à la fin des Derniers Jedi. Toute l'intrigue garde une structure archi-rebattue et donc prévisible (exposition, retour à l'aventure, confrontation avec le méchant, sacrifice d'un personnage emblématique, caméo des figures défuntes, lutte désespérée des protagonistes, deus ex machina via des renforts providentiels et rédemption finale face au méchant). Snoke n'était qu'un décalque de Palpatine dont les scénaristes ne savaient que faire et n'essaient même pas ici d'expliquer. Les Chevaliers de Ren, eux, ne sont qu'un vulgaire ressort narratif, réduits à de simples présences hostiles pour les besoins d'une rédemption trop évidente. Comme conclusion de toute la saga, on est vraiment très loin de ce à quoi les fans étaient en droit d'attendre au terme de trois trilogies, étalées sur plus de quatre décennies.


Alors quoi ? L'Ascension de Skywalker n'est-il rien d'autre qu'un énorme foutage de gueule, à peine digne d'un mauvais Marvel ? En termes narratifs, oui. D'un point de vue strictement formel, c'est moins évident. Car malgré toute l'arnaque scénaristique qu'il représente, cet Episode 9 bénéficie néanmoins de la réalisation appliquée d'Abrams qui réussit à nouveau à capter toute la dimension mythologique de cet univers. S'il précipite le rythme de son film, le réalisateur s'applique tout de même à composer des tableaux science-fictionnels ahurissants et ce, dès son sinistre prologue. Il impose ainsi rapidement une tonalité chromatique bleutée à l'image, hautement symbolique (puisque directement associée au sabre de Luke) et censée répondre à celle, écarlate (la couleur des Sith et donc de la défaite), du précédent opus. L'Ascension de Skywalker nous plonge ainsi tour à tour dans les tréfonds d'un temple Sith peuplé d'ombres inquiétantes, au coeur du désert de Pasaana sur les traces d'une relique Sith, puis sur les rivages d'un océan endorien déchaîné où gisent encore les ruines de la mythique Etoile de la mort. Il est difficile de rester de marbre face à cette succession d'images amoureusement préparées et qui, tout en faisant appel à la nostalgie des fans, participent pour beaucoup aux quelques qualités de ce dernier épisode.


Il est alors d'autant plus dommage que le scénario de cet ultime épisode soit si décevant. En refusant de s'affranchir de son lourd héritage, Abrams se vautre dans tous les écueils du fan service inutile et réalise l'opus le plus faible de la saga à ce jour (Solo avait au moins le mérite de raconter autre chose). Comme l'étaient chacun des deux précédents chapitres de la trilogie Disney, L'Ascension de Skywalker renvoie de manière trop évidente au dernier épisode de la trilogie originale (arrivée de Palpatine, intrigue sur Endor, tentative de corruption finale de Luke/Rey par l'Empereur, retour de Vador/Kylo Ren du bon côté de la Force), avec une légère variation de discours (les liens du coeur primant ici sur ceux du sang), mais le fait au forceps et en dépit de tout souci de continuité avec l'avant dernier épisode. Et donc se fiche complètement des spectateurs qui l'avaient apprécié. N'aurait-il pas été plus intelligent et original de la part des scénaristes, de faire d'un potentiel second disciple de Snoke, l'antagoniste de ce dernier épisode, suffisamment puissant pour mettre en péril les héros et se venger de Kylo Ren ? Non. Mieux vaut jouer la carte du fan service le plus stupide possible en dépit de la moindre cohérence narrative. L'Ascension de Skywalker devient alors l'exemple parfait de la maladie qui gangrène aujourd'hui Hollywood et provoquera un jour sa chute. On assiste là aux limites d'une industrie hollywoodienne qui, a trop vouloir contenter le plus large public et renflouer les caisses, finit par produire des spectacles idiots, sans la moindre audace créative et, pire que tout, dénués de toute âme cinématographique.

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le 5 avr. 2020

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Buddy_Noone

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