La dégradation du mythe

Des skyspoilers cette critique contient.

En entrant dans la salle obscure, j'avais "un mauvais pressentiment." Et il y avait de quoi. Après un épisode VII se révélant ni plus ni moins qu'un paresseux remake du IV et un épisode VIII essayant péniblement de s'affranchir de l'héritage de la saga en sapant certains fondements de celle-ci, je savais que nourrir l'espoir d'assister à un épisode à la hauteur de la trilogie originale, ou ne serait-ce que de la prélogie, était une chimère. Et malheureusement, le miracle n'a pas eu lieu.

Abrams contre-attaque

J.J. Abrams, réalisateur du Réveil de la Force, est de retour pour prendre les rênes de cette nouvelle aventure de Kylo et ses amis. Et cela se voit. Toutes les idées développées par Rian Johnson dans Les Derniers Jedi sont balayées d'un revers de main, renvoyées aux confins de la bordure extérieure. Les origines filiales de Rey, jugées sans importance dans l'opus précédent, deviennent ici cruciales. Kylo Ren remet son casque de Dark Vador du pauvre. Rose, introduite dans l'épisode VIII dont elle est un des protagonistes principaux, est reléguée à quelques caméos inutiles tels que ceux de Lando Calrissian. Vis-à-vis du lynchage public qu'a subi son interprète, ce n'est pas très classe… La scène où Luke intercepte le sabre laser que Rey jette à l'eau fait bien sûr écho à l'ouverture des Derniers Jedi dans laquelle Luke balance le sien. Tout au long du film, Abrams semble donc vouloir montrer ses désaccords avec le travail de Johnson et en renie même une bonne partie. Si bien que l'on peut se demander l'utilité de l'épisode VIII. La querelle des réalisateurs affaiblit grandement la cohérence entre les épisodes de cette nouvelle trilogie.

Le scénario fantôme

Une cohérence déjà bien entamée par une histoire multipliant les inepties. Le point de départ apparaît ubuesque : la voix de Palpatine aurait retenti dans la galaxie ?! Le script déroulant jaune laisse songeur. Et les craintes cèdent progressivement leur place à l'effroi. Les facilités scénaristiques sont légion. L'Empereur s'est constitué une flotte capable d'anéantir la galaxie sans que personne ne soit au courant et on s'interroge sur la possibilité d'un tel projet de voir le jour. Kylo Ren, tel N'Golo Kanté, est TOUJOURS au bon endroit. La Force, probablement sous l'effet des Mickey-chloriens, est aussi "cheatée" que Captain Marvel (Rey ressuscite Kylo, Palpatine détruit l'armada de vaisseaux rebelles avec ses éclairs). C-3PO, presque aussi irritant que Jar-Jar Binks en étant cantonné à faire des blagues dignes des Gardiens de la Galaxie, sacrifie sa mémoire mais R2D2 la lui rend grâce à sa clé USB 4Go. Zori Bliss est la copine idéale : tu peux l'abandonner quelques années sur une planète et elle te pardonne en trente secondes et deux répliques, quel pot ce Dameron ! Sans mentionner les "J'suis mort, j'suis pas mort" à répétition (Chewbacca, Kylo Ren deux fois, Rey, Zorii Bliss et Babu Frik) et les "Je te sauve, tu me sauves" sans surprises entre Kylo et Rey.

En même temps, vouloir faire un grand film avec si peu de préparation (un film tous les deux ans) était une gageure. Outre dans le scénario absurde, certainement écrit à l'aveugle, ce manque de temps se traduit également dans la réalisation. Les scènes d'action s'enchaînent à un rythme si effréné qu'elles lassent le spectateur et perdent de leur saveur. Constamment en plans serrées, la réalisation ne laisse aucune place à des scènes contemplatives permettant d'apprécier les décors. Par ailleurs, aucun moment de bravoure ne m'aura marqué dans ce film, ni même dans les deux précédents. Pas une trace du souffle épique présent dans les six autres films : le duel final avec Dark Maul, la bataille de Géonosis, les combats Anakin/Obi-Wan et Yoda/Dark Sidious, la destruction de l'Etoile Noire, "Je suis ton père", la bataille d'Endor. Même la musique, omniprésente et changeante en plein milieu des scènes, perd toute sa dimension homérique.

La revanche de la prélogie

Que voulait-on raconter ? De nombreux reproches ont été formulés à l'encontre de la prélogie et certains sont justifiés. Toutefois, celle-ci propose une histoire cohérente, en lien avec la trilogie originale et notamment l'idée d'équilibre dans la Force, totalement absente dans les trois derniers volets. Avec la postlogie — ou plutôt Disneylogie, tant ces trois films ressemblent plus à l'univers préfabriqué du géant américain qu'à celui de Star Wars — il n'y a pas d'histoire, pas de véritables enjeux, pas de scénario surprenant, pas d'approfondissement des anciens personnages (Leïa, C-3PO, R2D2) voire un abaissement de leur figure (Luke), des nouveaux personnages inutiles (Rose, BB-8, Maze), d'autres qui ne sont pas assez approfondis (Poe, Finn et notamment sa relation avec Rey). Sans parler de Snoke, qui devait certainement être le principal antagoniste de la trilogie dans l'idée d'Abrams avant qu'il ne meure dans le film de Johnson. Ou encore des Chevaliers de Ren, qui resteront à Star Wars ce qu'est la Compagnie Dorée à Game of Thrones. La richesse infinie de l'univers n'est pas non plus explorée. Aucune des nouvelles planètes présentées ne marquent aussi fortement l'imaginaire que la mer des sables, l'astroport et la cantina de Tatooine, les grandes plaines et la cité aquatique Gungan de Naboo ou encore la ville-planète de Coruscant.

Finalement, à qui est destiné ce film ? Pas aux fans de la première heure, trahis par la mythologie allègrement souillée. Pas aux adultes, qui sont infantilisés. Pas à la nouvelle génération, puisque l'on convoque des personnages vieux de quarante ans. Non, la question est plutôt : à quoi est-il destiné ? La réponse, évidente : à faire de l'argent. Et ce sera le cas. Un Elu ramènera-t-il un jour l'équilibre à Hollywood, et à faire exister le cinéma comme une industrie rentable qui ne sacrifie pas pour autant sa vocation artistique ?

P.S. : Ils t'ont déjà défiguré dans La Revanche des Sith, presque tué dans Le Retour du Jedi et, puisque tu es trop bête, ils ont cette fois encore eu raison de toi… Palpatine, si tu reviens dans l'épisode XI ou XII, prend garde aux éclairs de Force !