Beaucoup pensent encore aujourd'hui que la littérature à ceci de supérieur au cinéma qu'elle invite l'imagination à investir des contrées parfois inconnues de notre intimité en donnant à l’œuvre une puissance que l'image seule ne permet pas. Se noue alors, quand cela fonctionne, un rapport personnel entre le lecteur et le texte, que l'on ne retrouve très rarement dans un un récit graphique au visuel imposé.
Le degré de ratage de cet épisode IX (et à travers lui l'ensemble de cette sinistre trilogie) contredit presque ce postulat de base en conférant au septième art une noblesse que l'on ne lui trouve pas assez souvent: sans imagination chez ses scénaristes (imagination propre à proposer un récit qui raconte quelque chose et des personnages avec un minimum de consistance), le cinéma se transforme en un spectacle creux, une série de vignettes sans vie ni intérêt, fleuron de ce qu'est devenu les blockbusters des années 2010: une bande-annonce de deux heures qui oublie de relier ses moments spectaculaires et graphiques par un chose simple mais nécessaire: une histoire.


Autant l'épisode VIII m'avait navré, irrité, et presque découragé de poursuivre l'expérience en salle d'un Star Wars (alors que je m'y colle depuis 1977, quand même), autant celui-là, à travers sa triste tentative de recoller quelques wagons à une locomotive ayant depuis longtemps déraillé, m'a laissé dans un état de détachement total et constant: c'est (parfois) joli mais (toujours) totalement inutile.


Cerise stellaire sur la gâteau galactique, cet épisode rajoute une couche à l'ineptie générale: en plus de ne pas savoir quoi raconter, le film ne sait même pas comment le faire. La première heure est un torture en terme de rythme, d'enjeux et de narration: presque n'importe quel animatique de jeux vidéo fait mieux aujourd'hui. Sans parler de la construction de plusieurs scènes, ressemblant à un remix mal digéré de la première trilogie (remix qui semble du coup constituer la seule ambition des producteurs).


Je déplorais à l'occasion de l'épisode VIII que Disney se soit raté sur le SEUL élément qu'il fallait assurer pour réussir à ravir le cœur des fans inter-générationnels de la franchise: raconter quelque chose.
Il est effarant de constater qu'aucune tête pensante du studio n'ait réussi à imposer à l'origine de cette trilogie la moindre ligne directrice, le moindre créateur digne de ce nom pour donner au projet global une colonne vertébrale. Chaque épisode navigue donc à vue, balloté entre un fan service vain et une recherche effrénée de scènes graphiques, en oubliant encore une fois qu'un moment culte ne le devient que par la grâce de l'émotion qui l'investit.
Des visions de réalisateurs qui se contredisent entre chaque épisode autorisent les incohérences les plus flagrantes et désespérantes, faisant apparaitre, disparaitre et réapparaitre les personnages, dont aucun élément n'est tangible ou solide, permettant à leurs importances respectives, looks ou motivations propres de fluctuer d'un film à l'autre (parfois même d'une scène à l'autre) dans un océan d'ennui intersidéral. Les méchants sont pathétiques, les héros inexistants.


Cet immense bordel informe nous rassure finalement en confirmant qu'aucun projet ne peut se passer d'un talent, (unique ou collectif), et que même Oui-Oui raconté par Peter Jackson aurait plus de chance de nous émouvoir qu'ici Star Wars par… à peu près personne. Certes, cette affirmation n'est pas suffisante pour accoucher d'un chef d'oeuvre, mais elle constitue un préalable indispensable. Car c'est aussi implacable que navrant: même si Lucas avait raté sa prélogique, cette nouvelle série de films est bien bien pire que la précédente.


Comment aurions-nous pu imaginer que l'on allait en trois épisodes voir la disparition d'icônes telles Luke, Leïa et Han dans une indifférence absolue, au cours d'une conclusion de saga à des années lumières émotionnelles de ce qu'a proposé Marvel ou GoT (au final pourtant très discutables l'un et l'autre) ?
Un tel degré abyssal de ratage semblait impossible.
Du coup, des suites de ce calibre, on ne veut pas en revoir avant bien longtemps, et dans une galaxie lointaine, très lointaine.

guyness

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