Épisode II
L'ATTAQUE DES CLONES


L'agitation règne au Sénat
Galactique. Des milliers de
systèmes solaires ont annoncé
leur intention de quitter la République.


Confrontés à ce mouvement
séparatiste mené par le
mystérieux Comte Dooku, les
Chevaliers Jedi en nombre
limité, ont du mal à maintenir
la paix et l'ordre dans la
Galaxie.


La sénatrice Amidala,
ancienne reine de Naboo,
revient au Sénat Galactique
participer à un vote crucial
sur la création d'une ARMEE
DE LA REPUBLIQUE pour
aider les Jedi débordés...


Dix années ont passé depuis les évènements de La Menace Fantôme et l'apparente victoire de la lumière sur les ténèbres. Pourtant, un seigneur Sith continue de corrompre la république à l'intérieur même du Sénat, pendant que ses sbires, commandés par le Comte Dooku, sèment le désarroi dans le reste de la Galaxie, au bord de la guerre civile. A l'instar du jeune Anakin que nous avions quitté dans la naïveté de l'enfance et que nous retrouvons dans la fougue et l'arrogance des premiers pas dans l'âge adulte, la prélogie prend la mesure de son mythe et gagne en maturité ce qu'elle perd en onirisme. Le côté Obscur grandit dans l'univers et dans le cœur du jeune Skywalker, germe déjà les prémices de Dark Vador. Un Mal palpable perçu par l'Ordre Jedi mais évoluant encore dans l'ombre de son maître, dont le funeste dessein est toujours invisible à son doyen maître Yoda.


Comme je l'avais dit dans la critique de La Menace Fantôme, les destins de la République Galactique et d'Anakin étant dorénavant liés à travers la Force, la chute de l'un ne saurait empêcher la chute de l'autre. Une double menace faisant peser dans le ciel de Coruscant une épée de Damoclès que soupçonnait déjà maître Yoda, et dont le Chancelier Suprême Palpatine, alias Dark Sidious, a commencé l'aiguisage, parfaitement au courant que le déclin de l'un précèderait celui de l'autre dans les ténèbres. Milles ans après avoir été renversés par la République, les Sith tiennent enfin leur revanche.


L'Attaque des Clones est résolument le volet le plus politique de toute la saga. A tel point que le consensus et le vernis de la démocratie bien portante transpire dans la narration, le mensonge et la tromperie, qui comme le sait maître Yoda comptent parmi les armes du côté Obscur, étant utilisés avec autant de dextérité par les défenseurs de la république que par ses détracteurs. Du grimage de Padmé en garde du corps à son arrivé sur Coruscant, au leurre qu'elle tend elle-même à ses assassins dans sa chambre à coucher et à son retour clandestin sur Naboo, en passant par la découverte d'une armée de clone commandée par un jedi mort à l'époque des faits et destinée à servir à terme le Mal qu'elle combat actuellement et la révélation volontaire de l'existence d'un seigneur Sith dans les travées du Sénat par le Comte Dooku, absolument tout est fait pour semer le doute dans le camp adverse. En fin politologue qu'il semble être, Lucas va même plus loin en habillant le coup d'état qui se trame de la toge tachées de sang du pire des empereurs romains, Caligula, en étouffant la démocratie à même le Sénat et en offrant ses protecteurs, les jedi, en pâture à sa terrible engeance, amassée au cœur de l'arène. Une déclinaison du panem et circenses, il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine.


Dès sa première apparition, Anakin, qui a alors le même âge que Luke dans l'épisode IV, semble en proie à un conflit intérieur, écartelé entre son attachement au Conseil Jedi et son maître Obi-wan d'un côté, et sa volonté de puissance et sa soif d'absolu de l'autre. Rarement les tourments d'un homme et la noirceur d'une âme n'avait autant affleurés chez quelqu'un au cinéma. Plus que jamais l'ombre de Dark Vador plane sur le film. Le malaise qui le traverse à l'heure de faire des choix, les cauchemars de sa mère mourante qui le hantent toutes les soirs, et l'ardeur de l'amour interdit qui lui dévore les entrailes de l'espoir sont palpables tout au long du film. L'interprétation fiévreuse de Hayden Christensen, injustement raillé, y est évidemment pour beaucoup. Elle confère au film son atmosphère accablante, presque pénible. Son regard soufré, la gêne évidente de ses premières lignes de texte et l'intimidation naturelle de l'humain mortel face au mythe immortel qu'il doit incarner rendent palpable chacune de ses émotions, chacune de ses inflexions : l'arrogance des ses premières sorties laissent déjà présager le pire, ce sont bien les mots de Palpatine que l'on entend dans sa bouche, alors que l'amour inconditionnel et pure qu'il porte pour Padmé consume nos cœurs de mortels ; Anakin souffre, la Force est perturbée et tout le film s'en ressent.


Le premier épisode de cette prélogie nous proposait une nouvelle manière d'appréhender la Force à travers la révélation de l'existence des midi-chloriens et nous introduisait l'Ordre Jedi comme un ordre guerrier et mystique au service de la République Galactique, négociant pour elle (avec la Fédération du Commerce) et défendant ses intérêts partout où ils étaient bafoués (l'insurrection sur Naboo). On découvrait ainsi une entité semi-religieuse et semi-martiale toute dévouée à la Force et une organisation extrêmement bien structurée comptant dans ses rangs des centaines de chevaliers et d'apprentis (padawan). Avant l'avènement du côté Obscur, il y eut donc un âge d'or pour les jedi. Mais surtout, cet épisode jetait enfin la lumière sur la formation des jedi, qui c'était jusqu'ici cantonnée à deux-trois coups de sabre laser dans le vide et quelques pompes sur Dagobah, qui était alors présentée comme un entrainement du corps et de l'esprit, tel que pouvaient entre autres le promouvoir les Stoïciens, dans le cadre d'une transmission verticale de maître à élève, aussi bien descendante (indépendamment du fait qu'il est l’Élu, c'est grâce à Obi-Wan que Anakin devint le jedi plein de promesses qu'il était appelé à devenir) qu'ascendante (c'est probablement grâce à Anakin que Obi-Wan perfectionna sa maîtrise de la Force et devint l'un des jedis les plus sages et les forts de l'Ordre).


Dans L'Attaque des Clones, tous ces aspects sont repris et développés plus en profondeur. D'un point de vue purement pratique, l'Ordre Jedi n'est plus représenté par un simple conseil de sages assis en tailleurs autour d'un cercle vertueux, mais nous apparaît dans toute sa richesse et toute sa complexité comme un temple tout entier voué à la compréhension et à la maîtrise de la Force en même temps qu'une académie de formation pour ses pensionnaires et qu'une institution galactique indépendante mettant son savoir et ses chevaliers au service de la République. D'un point de vue plus théorique, l'ébauche de ses fondements philosophico-religieux, qui consistait dans le premier volet et la trilogie originale à vanter les bienfaits d'une écoute du cosmos et d'une grande acuité quant à l'écoulement de la Force et d'une grande patiente quant à l'écoulement du temps, prend à présent toute son ampleur dans la notion de détachement de l'âme immortelle des choses matérielles et mortelles. Ce concept, qui trouve ses fondements dans le stoïcisme de la Grèce antique, sera la croix de Anakin et le bourreau de son destin.


Pour mieux saisir la chute de Anakin dans le côté Obscur de la Force, il faut revenir aux bases de l'école philosophique du Portique et comprendre que sa fatalité n'est que le fruit du rejet de ses préceptes. Pour le sage stoïque, dont maître Yoda est le plus parfait représentant, la condition de la sagesse et de la vertu chez l'homme se décline dans une ascèse unique à travers trois leçons. La première, qui concerne les désirs et les rejets, vise la suppression des passions. La seconde, qui concerne les propensions (donc la tendance naturelle à tendre vers) et les répulsions (le contraire), tient à la question du devoir. La troisième enfin, qui s'intéresse à la patiente et à la prévention dans la précipitation du jugement, prône la discipline de l'assentiment. Si l'échec dans le premier domaine est le plus dramatique et frappe immédiatement, c'est pourtant bien dans les trois que le jeune Anakin pèche ; dans le second car le devoir est chez lui une notion aussi vertueuse que contextuelle (le sacrifice de l'intérêt général sur l'autel de son intérêt personnel deviendra monnaie courante, de l'escapade sur Tatooine pour sauver sa mère à celle sur Géonosis pour sauver son père spirituel) ; dans le troisième car de toutes les qualités indispensables aux jedi, la patiente et la réflexion sont celles qui lui font le plus cruellement défauts.


« La vie est courte, l'art est long, l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile. »


Intéressons-nous maintenant plus en détail à la première leçon du trépied philosophique des Stoïciens, la plus importante des trois, qui tend à éradiquer les passions et à promouvoir une tempérance extrême proche du détachement, et dont l'échec de l'assimilation sera le patibulum du jeune Anakin, sur la route de son Calvaire. L'accession à cette sagesse ultime, à ce détachement de tout artéfact éphémère de la vie, nous dit le stoïcisme, tient dans la distinction des « choses qui dépendent de nous » (les ta éph'hèmin) sur lesquels nous avons un contrôle absolu puisque libres par nature (les désirs, la création artistique et intellectuelle, le jugement et le libre-arbitre), des « choses qui ne dépendent pas de nous » (les ta ouk éph'hèmin), qui sont au contraire esclaves des circonstances et d'une logique qui nous est étrangère et donc sujettes à un contrôle des plus relatifs (la possession, le corps, l'argent, les proches, la renommée). Ce que cette philosophie nous enseigne finalement, c'est que la promotion au bonheur et à la liberté terrestre, et donc à l'invincibilité, ne consiste à désirer que ce qui dépend de nous et qu'au contraire, tout malheur nous frappant ne procède que d'un simple problème de jugement, d'une simple erreur d'identification des ta ouk éph'hèmin. Le secret de l'accomplissement des jedi viendrait donc de cette haute capacité de jugement des évènements de l'univers et de ce pouvoir critique d'user justement des représentations pour déterminer la valeur morale des choses, tous deux étant des dons de ce même univers, à travers la Force.


« La Force a placé sous dépendance uniquement ce qu'il y a de meilleur, ce qui commande à tout le reste, je veux dire le pouvoir de bien user des représentations. Quant au reste, il ne dépend pas de nous. » Ainsi pourrait parler maître Yoda-Épictète à son auditoire de jeunes apprentis. Cette citation qui résume parfaitement la doctrine Stoïcienne, à en outre le mérite de nuancer ce concept de jugement, don de la Force, qui ne serait finalement possédé que si bien utilisé, et d'introduire une nouvelle notion, découlant directement de cette dernière nuance, qui serait que la Force n'ayant pas placé le Mal en la possession de l'Homme, le côté Obscur ne serait que le produit d'un mésusage de cette capacité de jugement, de cette capacité d'user des représentations, c'est à dire la conséquence d'un mésusage de la Force : autrement dit, pour bien faire le Mal, il n'y a qu'à mal faire le Bien. De Épictète à Arendt, il n'y a finalement qu'un pas.


On l'a compris, le malheur de Anakin résultera d'avoir négligemment placé ce qu'il croyait être son propre bien dans les choses par nature étrangères : la vie de sa mère, pourtant prêt de l'univers, puis plus tard la vie de Padmé, également prêt de l'univers. C'est dans cette confusion des ta éph'hèmin et des ta ouk éph'hèmin que germe le Mal, et que s'ouvre les portes du côté Obscur « plus rapide, plus facile, plus séduisant » puisque ne nécessitant d'autre engagement que celui de ne pas en avoir. Cette méprise dans la qualité des choses de l'univers et cette illusion de leur possession et donc de leur perte sont d'autant plus significatives et condamnables pour un jeune apprenti jedi de 19 ans que l'éternel maître Yoda, du haut de son millénaire, n'a jamais rien perdu puisqu'il n'a jamais possédé, inébranlable étant sa foi dans la Force et dans son unique et inaliénable présent, le jugement. La liberté du jedi serait donc totale pourvu que celui-ci ne se dépossède pas lui-même dans les « les choses qui ne dépendent pas de nous », en retournant la seule chose qu'il détient (son jugement) contre lui, l'entraînant alors dans une aliénation malheureuse aux ta ouk éph'hèmin qu'il a désiré, c'est à dire, conçues comme son bien propre (le désir faisant parti des ta éph'hèmin). C'est pourquoi le désir, source des passions, doit impérativement être supprimés (au moins temporairement), puisque très souvent mal orienté et donc générateur d'erreurs de jugements.


« Les impressions de l'âme – par lesquelles l'esprit d'un homme est heurté aussitôt qu'arrive à l'âme la toute première représentation d'une chose -, ne sont ni soumises à la volonté ni même au contrôle de l'âme mais elles s'imposent d'elles-mêmes à la reconnaissance des hommes. Quant aux approbations - par lesquelles ces mêmes impressions sont reconnues – elles sont volontaires et soumises au contrôle de l'homme. C'est pourquoi, lorsqu'un bruit terrifiant éclate dans le ciel, ou s'échappe de l'écroulement d'un édifice, ou annonce inopinément la venue de quelque péril imprévu ou de quelque autre événement du même genre, il est inévitable que même l'âme du sage soit secouée et contractée l'espace d'un instant et que ce dernier pâlisse, non à cause de l'anticipation d'un certain mal, mais de certains mouvements rapides et irréfléchis qui déjouent en la précédant la fonction de l'âme et de la raison. Néanmoins, aussitôt ce grand sage n'approuve pas (les impressions qui terrifient son âme), mais les rejette et les refuses, ne voyant en elles rien à redouter. Et cela, disent-ils, fait la différence entre l'âme du sage et celle de l'insensé. L'insensé, lui, estime que les choses qui impressionnent violemment son âme sont véritablement horribles et cruelles, et, ensuite, comme si elles étaient réellement redoutables, les approuve. Quant au sage, après avoir brièvement et passagèrement changé de couleur et d'expression, et conservé la même teneur et la même force de jugement qu'il a toujours eues face à des impressions de ce genre, les considérant comme n'étant pas du tout redoutables, mais comme terrifiant par un faux-semblant et une vaine peur. »


Pour autant, l'engagement du jedi dans la Force ne saurait se faire sur le mode du repli ou du détachement total, car la condition humaine (on dira pour Star Wars la condition ou l'existence universelle des êtres vivants) étant constamment aux prises avec l'univers à travers un attachement émotionnel natif, primitif, naturel et inné, on ne pourrait transiger avec elle et, le cas échéant, qu'au prix d'un détournement des ta éph'hèmin vers les ta ouk éph'hèmin (autrement dit la représentation des « choses qui dépendent de nous » comme des « choses qui ne dépendant pas de nous », dont il faudrait alors rester neutre et indifférent) ce qui mènerait, tout autant que sa réciproque exposée plus haut, vers le côté Obscur. Si tout jedi est pas nature, par naissance et par essence, attachés à ses semblables et à l'univers (au microcosme et au macrocosme) et s'il subit involontairement des troubles physiologiques et psychologiques à l'occasion de certains événements impressionnants les touchants directement ou indirectement, ces représentations choquantes n'obligent en rien des comportement passionnels qui ne saurait conduire, c'est maintenant entendu, au côté Obscur (Anakin en est la plus belle preuve). Pour résumer, nous dirions que le liens des jedi avec le monde et les autres, et à partir duquel peut se penser toute leur conduite et tout leur engagement moral vertueux, est un attachement qui n'est pas encore intentionnel mais qu'ils ne cherchent aucunement, contrairement aux Sith, à défaire (les Sith, à l'image des cyniques grecs, cherchant à pervertir ce lien immanent et transcendant qu'est en réalité la Force). Ce qui revient à dire que la passion, le vice et d'une manière générale le côté Obscur, procèdent bien d'une interprétation fautive de cet attachement émotionnel primitif au monde. La sagesse, loin d'être un détachement s'atteint donc au contrairement dans l'accordement du jedi avec l'univers.

blig
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le 12 déc. 2015

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