Avant toute chose, je tiens à préciser qu'Andreï Tarkovski fait partie de ces cinéastes qui me fascinent tout particulièrement. J'ai personnellement un rapport très particulier aux films que j'ai pu voir de ce réalisateur, car je les ai tous (à l'exception des deux derniers) découvert dans les meilleures conditions possibles : dans les salles obscures sur des copies numériques d'une restauration impeccable (ce fut lors d'une rétrospective consacrée à la période soviétique du cinéaste et donc de ses 5 premiers films). Et Stalker est tout simplement mon premier Tarkovski et le film qui m'a fait entrer dans son univers, donc je considère ce film comme très important pour ma propre cinéphilie.


Bien que Tarkovski soit très souvent considéré par les cinéphiles comme un des réalisateurs les plus importants de l’histoire du cinéma, son style de réalisation reste très particulier et peut aussi bien fasciner que repousser le spectateur. L’approche du cinéaste se veut généralement assez
froide, méditative, contemplative et avec un rythme assez lent (pour ne pas dire très lent). Malgré le fait qu’il puisse être très exigent et assez difficile d’accès, c’est un cinéma plein de poésie et de philosophie qui mérite qu’on s’y attarde de plus près tant il peut être riche d'expérience pour le spectateur.
A la manière de certains écrivains russes comme Dostoïevski, Tarkovski arrive à travers ses films à capturer l’essence de l’humanité avec une précision et une justesse dont lui seul avait le secret. Il disait d’ailleurs lui-même à ce propos :



« Mon devoir est de faire en sorte que celui qui voit mes films
ressente le besoin d’aimer et reçoive l’appel de la beauté.
»



Le cinéma de Tarkovski est donc un cinéma où l’émotion et le ressenti du spectateur sont souvent plus importants que l’histoire elle-même. Ce qui est le cas du film Stalker.
Il faut savoir que Stalker est le dernier film que Tarkovski tournera en Russie et c’est également son deuxième film de science-fiction après Solaris. Stalker est adapté du roman de science-fiction du même nom, écrit par les frères Strougatski, qui ont également écrit le scénario du film.
Déjà, le film est assez visionnaire car il exploite le thème du cauchemar de la radioactivité alors qu'il est sorti en 1979, soit sept ans avant la catastrophe de Tchernobyl.
Malgré toute la complexité de cette oeuvre, le scénario de Stalker est assez simple : Nous sommes en Russie Soviétique dans un futur proche dévasté par la radioactivité et où la Guerre Froide persiste toujours. Il existe quelque part dans le pays un endroit très mystérieux appelé “La Zone”. Considéré par les autorités du pays comme un danger, personne ne connaît réellement les origines et la nature de ce lieu, qui est craint par tout le monde et cerné par la police. Au centre de la Zone, on dit qu’il existe un lieu clos appelé “La Chambre”, une pièce capable de réaliser tous les souhaits d’un homme. Pour accéder à la Chambre, il faut demander l’aide à des passeurs appelés les “stalkers”, des hommes capables de guider ceux qui désirent s’aventurer dans la Zone.
Le film nous raconte donc le parcours philosophique de deux personnages : un écrivain et un professeur, qui décident de pénétrer dans la Zone avec l’aide d’un stalker, afin de découvrir l’intérieur de la Chambre. Malheureusement pour eux, la Zone suit ses propres règles, dont seul le stalker connaît le sens.


Bien évidemment, je ne vais pas vous révéler les secrets de la Zone pour laisser durer le mystère et ne pas vous spoiler.


Stalker est un film très particulier tant d’un point de vue esthétique qu’au niveau de son sujet. C’est un film qui peut laisser le spectateur à côté, à cause de sa lenteur et de son aspect volontairement contemplatif. Il faut le vivre pour le croire, et surtout il faut le voir dans de bonnes conditions. Lorsqu’on regarde Stalker dans une salle de cinéma, on embarque dans un voyage mystique et immersif hors du commun. Entrer dans l’univers de Stalker, c’est comme plonger tête baissée dans un rêve à première vue mystérieux et effrayant, mais dont on reste scotché et hypnotisé une fois à l’intérieur, même si l’expérience peut être inhabituelle voire douloureuse. Il faut voir Stalker comme un film de science-fiction minimaliste et atmosphérique.


D’un point de vue esthétique, presque chaque plan dans Stalker est resté gravé dans ma mémoire, tant l’image et les plans sont si bien composés tel un tableau, et on admire sur le moment des images d’une poésie très glauque (très russe). Comme, pour citer quelques exemples : un stalker dormant dans une flaque d’eau près de son chien, nos trois personnages assis au milieu de la chambre et admirant la pluie passer, ou encore une petite fille déprimée assise sur une table fixant un verre d’eau.
A travers tout ce travail de l'image, notre perception du temps lors du visionnage en est presque changée. Ce travail sur la dilatation du temps, Tarkovski s'en est fait lui-même sa spécialité à travers tous ces long-métrages, et cela se ressent particulièrement dans Stalker.


A ce propos, la citation suivante du réalisateur exprime bien cette idée :



« Entre les moments où on dit 'action' et 'coupez', qu'est ce qui se
passe ? On fixe l'essence du temps. Du coup qu'est ce que le Cinéma ?
C'est une mosaïque faite avec du temps.
»



Les partis pris esthétiques sont vraiment forts, comme lorsque l'on passe du monde froid de la Russie et son image sépia, au nouveau monde de la Zone et son passage à la couleur qui nous soulage comme une libération.


Le son est aussi très important dans Stalker. Toute la musique du film a été composée par le compositeur russe Edouard Artemiev. Lors du tournage, Tarkovski a demandé à Artemiev d’assembler des sons étranges qui évoqueraient un endroit mystique comme la Zone, afin de les transformer en une douce musique poétique et méditative. Le résultat est donc assez étrange mais très envoûtant, voire hypnotisant, toujours dans cette idée de rêve mystérieux mais très attirant.


https://youtu.be/s1frqa1uuK8


Un autre point qui me parait très important dans Stalker, est son aspect philosophique, qui peut ne pas être très évident à cerner au premier visionnage, mais qui reste très puissant et profond. Il y a tout un sens symbolique sur la quête de l'homme, de ses rêves, sur la recherche du bonheur, que l'on retrouve à travers le périple de nos trois personnages.


Enfin, en plus de toutes ces qualités et au delà d’être un classique du cinéma russe, Stalker me paraît être un véritable film fondateur pour tout un genre de cinéma et pour la science-fiction post-apocalyptique en général. L'influence de ce film me paraît vraiment importante, car en plus d’être aussi visionnaire pour avoir presque prédit la catastrophe de Tchernobyl, nombreux sont les films et les œuvres qui se sont très probablement inspirés du style de Stalker. Citons comme exemples des films comme La Route, Les fils de l’homme, ou Wall-E de Pixar ; ainsi que des séries et des jeux vidéo comme The Walking Dead, The Last of Us et Fallout qui reprennent un univers similaire et une atmosphère froide semblable à celle de Stalker.


En conclusion, Stalker est une très grande expérience de cinéma à vivre si on a la chance de le voir dans de bonnes conditions pour l’apprécier à sa juste valeur. C'est un film que je ne recommanderais peut-être pas à tout le monde, à cause de son exigence absolue, mais malgré cet aspect, le film vaut largement le détour, ne serait-ce que si vous cherchez une expérience de cinéma qui va vous sortir de votre Zone de confort (et en l’occurrence le terme est plutôt bien choisi).
Toutes ces raisons font que Stalker est à mes yeux un véritable chef-d'oeuvre du Cinéma, absolument intemporel, qui m'a profondément marqué et que je considère aujourd'hui comme un de mes films préférés.

Créée

le 30 avr. 2020

Critique lue 933 fois

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LungBoonmee

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