Souvenirs de Marnie
6.9
Souvenirs de Marnie

Long-métrage d'animation de Hiromasa Yonebayashi (2014)

Attention, cette critique est super terre à terre. Elle ne s'embarrasse pas de concepts vagues comme la poésie ou le ressenti.
Et ce pour une raison simple, c'est que, justement, j'ai rien ressenti putain.

Donc SPOILERS, là, tout de suite, maintenant :

En gros, deux choses m'ont beaucoup gêné au visionnage et m'ont vraiment empêché de rentrer dans le film. La première est d'ordre thématique, la deuxième est narrative.

Concernant la première : Souvenirs de Marnie raconte l'histoire d'une gamine de 12 ans qui se découvre des penchants homosexuels. Voilà, ça c'est le postulat. Mais ce n'est pas un problème, bien évidemment. Que le film veuille traiter de la différence et de la découverte de pulsions "contre nature", c'est tout à fait son droit et c'est même plutôt cool. Non, ce qui me dérange c'est que le film n'assume jamais son propos. Il passe son temps à dire "vous avez vu ? elles s'aiment" mais juste pas assez fort pour que la Manif pour tous s'en rende compte. Vraiment, on accumule les clichés romantiques - et que la barque au clair de lune, et que je t'entoure de mes bras pour te montrer comment on rame, et que je te tape une crise de jalousie en te voyant danser avec "l'autre", et que je me mets littéralement à la place de ton mec en te protégeant lors d'une tempête... et que tu es "ma préférée parmi toutes celles que j'ai connues" (là je vois vraiment pas comment faire plus clair) - mais on ne traite jamais cette histoire comme une vraie histoire d'amour. C'est un détail, en fait. C'est là mais ça sert à rien.

Alors deux possibilités, soit c'est voulu, genre au final on s'en fout que ce soit deux filles, pas la peine de s'arrêter dessus, l'important c'est qu'elles s'aiment. Oui mais non. C'est bien de décrire une histoire d'amour lesbienne de manière aussi anecdotique que n'importe quelle histoire d'amour hétéro, mais merde, c'est trop tôt. Aujourd'hui, on a besoin de montrer les choses, de les dire haut et fort, et pas de se cacher derrière un vague "ouais mais en fait finalement on s'en fout du genre non ? l'important c'est l'amour lolilol". Et évidemment que c'est pas la même chose pour la personne à qui ça arrive, que ça met face à encore plus de doutes et plus de difficultés et que tout ça c'est des trucs à traiter ! Je demande pas au film d'être activiste, juste de dire les choses importantes.

Bon ou alors c'est une question de grille de lecture mais on a un gros déséquilibre entre la présentation des enjeux - genre, l'homosexualité, tout à fait évidente et appuyée à l'encre rouge - et leur traitement - fait à base de doubles sens totalement obscurs et symboliques, comme la scène du silo où Marnie abandonne Anna... pour un homme. Donc c'est difficile de dire si le symbolique est bien censé résonner avec l'explicite. Pour moi il aurait fallu soit en faire une vraie intrigue, avec un vrai traitement scénaristique, soit développer le propos en toile de fond, basé sur des métaphores et des symboles, et donc en n'appuyant pas autant les sous-entendus homosexuels.

Voilà, donc ça ça m'a un peu empêché de rentrer dedans, ce côté trollesque en mode je dis pas ce que je montre juste pour t'emmerder. Mais le plus important c'est pas ça. Non, le deuxième et plus gros problème pour moi c'est que tout le propos est dilué dans le pseudo-mystère qui entoure l'identité de Marnie et, surtout, la façon dont Anna la perçoit.
La plus grosse erreur du film selon moi, c'est de faire en sorte qu'Anna révèle elle-même au bout d'une demi-heure que c'est bien elle qui imagine Marnie. Genre, elle SAIT qu'elle n'existe pas. À partir de là, quand on passe l'heure suivante à la voir jouer sa vie pour ne pas la perdre et hurler qu'elle l'aime, ça donne un tout petit peu l'impression qu'elle vire cinglée, et ça tue dans l’œuf toute empathie et par là tout l'intérêt que l'histoire pourrait présenter. Je veux dire, c'est intéressant de réfléchir sur le rôle cathartique de l'histoire qu'elle se raconte sur la gestion de ses pulsions... Mais non, je m'en branle : cette gamine est folle, bordel !

Vraiment, on va dire que je suis trop terre à terre mais pas une seule seconde à partir de la rencontre avec Marnie je n'ai eu d'empathie pour Anna. La raison en est simple : je trouve l'écriture du personnage calamiteuse. L'écriture d'un personnage "fou" est toujours un exercice difficile puisque le scénariste doit sans cesse chercher le compromis entre des réactions et des motivations que, par définition, personne ne peut comprendre (enfin je parle pour moi, peut-être que vous, vous vous êtes déjà sentis tellement emportés dans votre histoire d'amour imaginaire que vous en êtes allés attraper une pneumonie dans un phare un soir de tempête en criant à la mort, trahis que vous étiez pas le personnage que vous veniez de créer - moi, non), et des éléments connus auxquels le spectateur puisse s'accrocher pour se soucier un minimum de ce qu'il peut arriver au dit personnage. D'où mon problème : cette histoire est tellement bizarre, ces réactions si incompréhensibles qu'Anna ne présentait plus aucun intérêt pour moi, j'en étais trop distant, elle était partie trop loin. Et c'est un écueil aggravé par la confusion volontairement entretenue entre l'imagination et la réalité, qui rend encore plus ridicules ces réactions décalées.

Voilà, et alors évidemment tout ça c'est sans la révélation finale et tout à fait dérangeante que Marnie est en fait sa grand-mère. Révélation au potentiel émotionnel totalement gâché au passage puisque toute la salle l'avait compris 5 minutes avant, on sort donc du film avec une très grosse envie de se moquer de l'héroïne.

Je suis d'autant plus déçu que ce sont des thèmes que j'apprécie énormément. L'isolation sociale, la découverte de soi en passant par la compréhension de ses origines, les premières amours... Je trouve que la pré-adolescence est un des moments forts de l'existence et qu'il est trop peu traité au cinéma, on lui préfère généralement l'adolescence. Et surtout, j'adore ces représentations superbes de la nature, les forêts, les lacs, les putains de couchers de soleil... Évidemment, l'esthétique du film est magnifique, le travail sur les bruitages notamment - Anna qui se couche sur la mousse dans les marais quoi ! - est génial, et tout ça convient justement parfaitement au thème.

Mais on y revient : pour les deux raisons citées ci-dessus, j'ai été incapable de rentrer dans le film, incapable d'avoir le moindre ressenti poétique, incapable de me laisser porter par cette esthétique sublime. Et donc, je suis très énervé. Et donc, 4.

P.S : C'est bien la cinquième fois que je reposte cette critique. J'ai beaucoup de mal à bien exprimer ce qui me dérange, à formuler ma pensée, enfin c'est assez flou, d'autant qu'on est sur des thèmes pas faciles. Ceci dit je pense que cette fois c'est la bonne.
Et si vous pensez que je n'ai absolument rien compris, que mon analyse est complètement erronée, n'ayez pas peur d'éclairer ma lanterne dans les commentaires, je suis un mec plutôt ouvert au débat. ;)
Arbuste
4
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le 22 janv. 2015

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