Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

Cela fait de nombreuses années que les parents n’ont plus vraiment à se plaindre d’accompagner leur progéniture à la projection du nouveau blockbuster qui leur est dédié : les studios savent ratisser large, et, à quelques exceptions près (une mièvrerie vraiment trop prononcée, ou une débilité insultante pour la jeunesse elle-même), ils savent séduire l’ensemble de l’auditoire par l’ajout de références, d’une ironie ou de thématiques universelles. Sur ce terrain, Pixar s’est très rapidement positionné comme un studio à part, dont les œuvres sont probablement plus attendues par la part la plus mature du public, tant les trouvailles pour aborder les questions les plus vibrantes permettent de conjuguer divertissement, poésie et initiation en douceur pour la marmaille aux yeux écarquillés. De l’écologie (Wall-E) à la peur (Monstre & Cie), de la fabrique des sentiments (Vice-Versa) à la question du deuil (Là-Haut, Coco), l’éventail est large et accroit à mesure les exigences face aux nouvelles propositions. C’est donc peu de dire que les attentes étaient grandes face à Soul, dont le pitch semble faire suite aux fabuleuses trouvailles de Vice-Versa (des matérialisations allégoriques de notions abstraites, ici les âmes) tout en prolongeant les questions abordées dans Coco, à savoir la mort, l’effroi et l’acceptation qu’elles supposent dans tout récit initiatique.


L’ambition de Pete Docter et Kemp Powers est immense, et occasionne clairement certains trébuchements, à commencer par la complexité un peu vaine dans la construction d’un univers aux règles touffues, qui oscille entre une certaine fantaisie visuelle (la très belle chute originelle et les premières minutes de la découverte de l’au-delà) et une superposition d’explications presque aussi pénibles à suivre que celles d’un film de Christopher Nolan. De la même manière, la mécanique comique du centre du récit qui vise l’inversion des incarnations, dont celle dans un chat, déçoit un peu par son manque d’originalité et fait met l’intrigue sur des rails beaucoup moins prenants, d’autant qu’on comprend très rapidement qu’ils conduisent sur une fausse piste faisant office de diversion par rapport à la valeur essentielle à défendre et à côté de laquelle passe pour le moment le protagoniste.


Il y a donc là un étonnant paradoxe, dans un conte qui se veut l’apologie des petites merveilles insignifiantes de l’existence, à devoir passer par autant de détours, de concepts, d’expériences graphiques peu passionnantes (à l’exception de l’incursion de Terry dans New-York, jeu de cache-cache d’un être en 2D dans un monde en trois dimension, occasionnant de belles trouvailles), de sas et de mises à l’épreuve ; on peut d’autant plus se permettre ce reproche que la morale en question n’est finalement pas aussi simpliste, et certainement pas vaine. La question qui hante le duo, celle d’une vocation (purpose, en VO, encore plus large dans sa dimension éthique, puisqu’il renvoie vraiment à la question d’un sens à donner à sa vie, d’un « propos ») est passionnante dans la mesure où elle a toujours été le topos de l’héroïsme, et l’injonction faite à quiconque désirant trouver sa place, particulièrement dans la fiction américaine, où celui qui croit en son rêve et se bat pour le réaliser aura mérité son statut de figure de proue du life achievement généralisé. Le pas de côté proposé par le faux climax du récit est ainsi tout à fait galvanisant, et approche, dans sa fraicheur, le message des films de Capra : le désir d’ouvrir les yeux sur le miracle répété d’une fragile vie quotidienne. Le traitement fait à la musique accompagne avec intelligence cette démarche : les séquences, très belles du point de vue de l’animation, ne sont réellement poétiques que parce qu’elles dépassent la question de la performance saluée par un standing ovation pour se construire dans l’improvisation (le témoignage fait aux élèves au début), la confidence (le jeu de l’élève timide) ou l’intimité (la composition finale face aux objets témoins).


Dans un récit qui s’attache à l’âme et à la quête de sa substance, il est par conséquent assez étonnant de voir le spectateur en demander autant, aussi longtemps, au film lui-même. D’autant que la lutte d’un homme pour repousser l’échéance de sa mort trouve son sens dans la passation et la visite émue, sous forme d’exposition de ce que fut son existence, et des évidences qui lui sont restées inaccessibles. L’ultime dénouement sonne dès lors comme une frilosité qui porte un coup supplémentaire à ce pas de côté qui, s’il garde pratiquement le cap sa sémillante trajectoire, le fait tout de même en boitant.


(6,5/10)

Sergent_Pepper
7
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le 27 déc. 2020

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Sergent_Pepper

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