La science-fiction. Un vaste sujet, un genre aisément identifiable mais difficilement déchiffrable. C’est alors qu’Andrei Tarkovski décide de s’adonner à la tâche. Sauf que l’auteur russe, avec Solaris, met en image sa propre idée de la science-fiction. Première évolution dans le cinéma de Tarkovski, c’est l’apparition de la couleur : ce qui n’était pas le cas avec Andrei Roublev et L'enfance d'Ivan (sauf à la fin). Mais est-ce une véritable révolution ? Cela ne saute pas aux yeux car le cinéma du réalisateur soviétique n’a pas forcément vocation à s’exprimer par la symbolique de la couleur. Chez lui, la couleur n’est pas vectrice à émotion ou à interprétation sensitive.


Même si le réalisateur jouera parfois avec le contraste, avec la luminosité, le passage de la couleur au noir et blanc, la frontière étroite entre le rêve ou la réalité, Andrei Tarkovski reste proche de ses thématiques visuelles et narratives précédentes. S’esquisse alors un naturalisme obsédant qui fera de Solaris est une ode à la nature face à sa proximité avec la conscience humaine.


Le début du film est symptomatique de cette volonté d’intégrer l’humain dans un environnement connu, familier de lui-même : un étang, des algues, une faune tempérée qui ferait office de temple bienveillant. Le philosophe Kris n’est pas encore parti pour Solaris. La Terre reste un espace apaisant. Qu’on se le dise, Andrei Tarkovski dans Solaris, n’utilise jamais les codes de la science-fiction pour créer un espace lunaire ou stellaire qui affranchirait la notion visuelle que l’imagerie collective peut avoir de l’espace.


Même si le film nous emmènera sur Solaris, une planète recouverte d’un océan infini et sur la station orbitale qui gît sur ce dernier, Tarkovski se fait très succinct dans la caractérisation de son décorum : des couloirs spatiaux technologiques, une salle de séjour, une chambre blanche et vaguement moderne, un code vestimentaire terrestre. Ni plus ni moins à quelques exceptions près. Un philosophe est amené à se rendre sur Solaris pour continuer ses recherches et voir ce qu’il reste d’un équipage désarçonné. Solaris ne joue pas la carte du modernisme. Que ça soit dans la forme et dans le fond, Solaris s’avère alors la contre proposition cinématographique parfaite au 2001 de Stanley Kubrick. Et c’est peu de le dire.


Dans la folie douce, l’aliénation contagieuse qui s’instaure sur la station, obligeant même l’un des scientifiques de l’équipage à se suicider, Andrei Tarkovski va motiver son empreinte d’auteur sur une œuvre aux multiples questionnements. Afin d’assimiler le style au sujet, le papier à la plume, Andrei Tarkovski va s’épancher esthétiquement, continuer la veine presque monacale de ses plans jusqu’à un point encore jamais défini dans son cinéma : l’évanescence et le contemplatif. Alors que le silence était de mise dans ses deux précédents films, Solaris joue sur l’hypnotisation, sur sa bande son et son importance : sa capacité à immiscer l’angoisse de l’inconnu, la retenue de la tension narrative. Le mystère. La barrière entre ce qu’on le voit et ce qu’on ne décèle pas fait toute la sève d’une œuvre qui est avant tout : une recherche de l’homme par l’homme.


Andrei Tarkovski trouve l’osmose parfaite encore la rigueur formelle de son cadre et la pulsation sonore par la contemplation comme le témoigne cette somptueuse scène d’autoroute tokyoïte. C’est qui est incroyable dans les premières œuvres du réalisateur, c’est de ne jamais tomber dans la surenchère esthétique. Rendre la beauté, humble et reconnaissable à tous n’est pas donné à tout le monde. Solaris marche alors dans les pas d’Andrei Roublev, dans son aptitude à étirer son récit sans jamais le rendre redondant, avec ses questions sur l’homme et sa connexion à quelque chose qui le dépasse, la croyance et son miroir qu’est le savoir, l’expérimentation à la sensation.


Car au final comment définir simplement Solaris : un homme qui voit le fantôme de sa femme resurgir. Mais non pas dans une hallucination mais une matérialité confondante et visible. Alors qu’ils sont presque abandonnés à eux-mêmes sur une planète difficile à décoder, la nature de leur recherche semble se concentrer sur eux-mêmes montrant aussi l’impuissance de l’Homme à comprendre tout ce qui l’entoure alors qu’il a encore beaucoup de mal à se définir par rapport à son environnement.


La science-fiction s’efface au profit de l’humain, l’indéfiniment grand à l’indéfiniment petit, le savoir au profit de l’amour. La conscience n’est pas un ectoplasme comme les autres, et l’amour une donnée à la définition obscure. D’ailleurs, on sent dans Interstellar, une vraie influence de Solaris : la place de l’amour dans notre vision de la science et dans l’expérimentation purement objective qu’est la conscience et l’envie de s’affranchir.

Velvetman
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le 23 juil. 2016

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