Il y a un gros problème. Les plans, notamment ceux sur l'extérieur, sont absolument magnifiques. Le réalisateur tient son spectateur presque jusqu'au bout avec un suspense qui ne faiblit que très rarement. Le propos est louable et les scènes de combat, surchargées mais prenantes, sont bien ficelées. Cependant, il y a un gros problème. Un gros, gros problème.


C'est donc l'histoire d'un train qui avance à l'infini suivant un cycle éternel. Les rejetés, les pauvres, les cas sociaux, les estropiés, tous ces déchets sont à l'arrière du train et les gens riches sont à l'avant. Evidemment, les pauvres sont retenus comme des prisonniers par les autres qui ont une milice comme toute société dominante qui se respecte. L'histoire de ce film est la révolte des pauvres contre les riches. Des captifs contre les bourreaux. Cependant, il y a un gros problème. Un gros, gros problème.


J'avais lu avant de voir le film quelques critiques de manière très rapide. Pour tout vous dire, je ne pensais pas le regarder, je déteste faire cela avant de voir une oeuvre. Je préfère être pris au dépourvu. Le mal était fait. Je m'attendais à une petite révolution, à une lutte des classes acharnée, un truc qui prend aux tripes et qui "montre des clichés mais ça va plus loin que les clichés". Je vous aime beaucoup, mes éclaireurs, mais vous avez clairement fumé la moquette. Ce film est, et je le dis avec sincérité, le film (sérieux) le plus manichéen et le plus incohérent que j'ai pu voir depuis que je m'intéresse au cinéma. Expliquer la lutte des classes et le culte de la personnalité pour les nuls. A partir de ce moment, je vais devoir divulguer quelques spoilers.


••• La lutte des classes


Ils vivent dans des conditions insalubres, comme du bétail. On le comprendra plus tard dans le film. La photographie est très sombre, la saleté et le jeu des couleurs font en sorte de les rendre à peu près tous identiques. Les premières apparitions des hauts placés, outre les soldats, sont assez spectaculaires car ils portent des vêtements très colorés voire même flashy. Pourquoi pas, c'est la démesure, c'est la différence. Les deux femmes qui se présentent, tour à tour, sont toutes les deux imbuvables. L'une est clairement vilaine, l'autre fait semblant de normaliser la situation pour leur faire accepter leur triste sort.


Le train se divise en deux catégories. Les wagons pauvres, assez austères, ils ne contiennent rien d'intéressant. Plus on avance dans le train et plus la richesse est présente. Ils vont s'en rendre compte bien vite.


Tout ça rappelle au mieux de simples bourreaux, au pire les trains de la mort. Mais tout est tellement, tellement pas nuancé et tout répond tellement aux codes des films de ce genre. Ils sont comptés, parfois emmenés, ils se rebellent mais en fait pas trop. L'autre si, mais du coup on lui gèle le bras pour que le spectateur comprenne qu'ils ne rigolent pas. Eux sont vraiment très pauvres, après il y a les pauvres mais qui travaillent avec les riches, après il y a les soldats, après il y a les riches travailleurs, puis ceux qui s'amusent, puis enfin le boss des boss et sa femme. Comme dans un jeu, sauf qu'ici le film tente d'avoir un propos.


••• Les nombreuses incohérences de ce train


Ils mangent des insectes en gelée. D'où viennent les insectes ? Comment cette drogue peut-elle tout faire exploser aussi simplement ? Pourquoi personne ne passe de wagons en wagons alors qu'il n'y a qu'une porte de sortie et une porte d'entrée entre chaque ? Pourquoi le héros laisse les deux autres protagonistes éclater le train alors qu'il n'y a aucun espoir de survie dehors ? Comment l'asiatique fait-il pour regarder tous les ans la queue de l'avion alors qu'il dormait dans son espèce de morgue et qu'il était au mieux, là depuis pas mal de temps au pire, retenu prisonnier par les autres ? La longueur du train est beaucoup plus importante que le nombre de pièces qu'ils parcourent à la chaîne. Ne parlons même pas des enfants qui remplacent des pièces détachées, des pauvres qui mangent des bébés et du gentil qui est en fait méchant...


Je ne sais pas si c'est possible d'entretenir un aquarium, une discothèque, un salon de coiffure et un bar à sushis pendant 17-18 ans. Je ne pourrais pas répondre.


••• Les différences poussées à l'extrême


Dans les riches, personne n'est gentil. A part le faux gentil qui est un méchant mais parfois il est gentil. Dans les riches, ils sont soit meurtriers, soit ils s'en foutent. Personne ne se rebelle, personne ne pense que c'est mal, ils sont tous absolument identiques. Dans les pauvres, ils sont tous très courageux et n'hésitent pas à mourir pour leurs idéaux. Ils n'ont pas d'armes, et de toute façon ils ne savent pas les utiliser. Ils ont cependant un asiatique qui s'y connait en fils et sûrement en ordinateurs. Sa fille est médium, en plus, ça peut servir.


Pas besoin de parler des différences liées aux couleurs. C'est justifié et ça s'explique par les moyens mis en oeuvre pour faire des endroits pour les riches des endroits luxueux. Ce qui me gêne c'est qu'il y a toujours le même schéma. Wagon par wagon, ils avancent. Les méchants sont des tueurs sanguinaires avec une vision infrarouge, Les pauvres sont de moins en moins. Et pour moi aucun des personnages de ce film n'est développé, ils répondent eux-mêmes à des stéréotypes. On va jusqu'à faire porter à la grande vieille vilaine un faux dentier pour symboliser : voilà, regardez, rien n'est vrai chez eux OU regardez, tout est remplaçable.


••• Le culte de la personnalité


Si c'est une satire, d'accord, c'est bien réalisé. Si c'est censé être pris au premier degré, je ne réponds plus de rien. On comprend de suite que le leader, Wilford, jouit d'une côte de popularité absolument énorme chez ses sbires. Il n'y a pas besoin de faire toute la seconde partie du film dessus, si ? Quel est l'intérêt ? A partir du moment où on voit les vidéos, on comprend. Rien n'est subtil. Il y a des chansons, des films, des dictons, les pauvres sont considérés comme de la vermine qui essaient de détruire la tranquillité du train. Bref, c'est barbant mais c'est l'annexe des inégalités développées plus haut. C'est d'ailleurs, à mon avis, dommage d'avoir incorporé cette rencontre à la fin. J'aurais aimé rester sur un chef invisible que personne ne voit, un pouvoir exécutif qui ne serait que dans la symbolique. Le fait de tout expliquer à la fin, à la sauce Matrix, casse l'ambiance du film.


••• Quand l'action remplace le suspense.


A la fin, c'est terminé. Plus besoin de tenir le suspense, plus besoin de jouer avec le spectateur. De toute façon, ça ne peut pas tenir deux heures cette histoire, il faut faire quelque chose. Alors on installe un nouveau méchant, il est grand, très costaud, presque invincible. Puis une fois qu'il est mort (mais il ne meurt jamais vraiment), on va voir le boss final. Tous les pauvres sont morts, il ne reste plus que les leaders. Mais en fait, les deux asiatiques sont là uniquement pour poser une bombe. Mais il faut faire vite car le reste de la population est en colère et ils arrivent tous avec des marteaux (alors qu'ils dansaient il y a peu en boîte de nuit). Le méchant n'est pas méchant, car il propose sa place au héros principal, le pauvre qui a réussi à passer tout le train sans se faire tuer mais en tuant au moins 45 personnes (pas mal pour un pauvre avec une main défoncée). Enfin, bref, le timing est serré, et après quelques passages de révélations sur ce qu'est le train, comment et pourquoi la différence entre les classes et primordiale, le train explose et tue tout le monde sur son passage. Tout le monde ? Non, une poignée de héros résiste encore et toujours à l'envahisseur...


Ce serait mentir de vous dire que j'ai détesté le film. C'est faux. Je me suis pris au jeu, j'ai aimé suivre leurs aventures et je me suis comme tout le monde identifié à ces gens qui voulaient renverser l'ordre établi. Une quête de liberté menée comme un jeu vidéo, presque comme un survival, où le dernier plan rattrape finalement les clichés les plus scandaleux du film. A titre personnel, je refuse de croire qu'il y a le moindre intérêt sociologique dans ce film tant le message est banal et usé jusqu’au bout du bout. La fin, les dernières images du film sont elles très fortes et porteuses d'une idée très simple : La liberté, oui, mais à quel prix ? C'est le vrai message du film, survenu trop tard car tout du long, ils veulent simplement prendre la tête du train. Le film répond à tous les codes du film d'action sans jamais aller jusqu'au bout et fait de même avec cette pseudo aventure humaine et c'est très frustrant. Il faut assumer son film parfois et la manière dont on le déroule.


6 pour les paysages, la tension, les scènes de bagarre et le piano, l'idée originale. 6 pour l'ours.


(Je ne savais pas que ça venait d'une BD. Mais ça ne change pas grand chose.)


PS : La fin n'a aucun sens.

EvyNadler

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