Faut bien l'avouer, depuis Alexandre, grand film malade mais très attachant, Oliver Stone, c'est plus vraiment ça. C'était en 2004. Si l'on met de côté un W. comme dernière charge, dernier soubresaut, que reste-t-il, aujourd'hui, de l'absurdité de son excellent Platoon, de son consciencieux JFK, ou encore de son furieux L'Enfer du Dimanche, injustement mésestimé ?


Ainsi, voir le réalisateur s'emparer d'un tel sujet, le bichonner, le porter, rencontrer sa vraie figure de proue, avait quelque chose de rassurant, comme si Oliver Stone revenait armé de toute sa hargne, de toute l'acuité de son regard sur la chose politique. Mais à la sortie de ce Snowden, on se surprend à penser que, si l'on n'était pas très au courant de l'actualité cinéma, l'affirmation selon laquelle Stone aurait réalisé le film tiendrait d'une certaine surprise, d'un étonnement totalement compris dans un Ah bon ??? incrédule.


Car ici, tout d'abord, pas de personnage fort ou tragique. Oliver met en effet en scène un homme sans grande aspérité, dont le destin et la force de caractère sont honorables mais dont la vie n'est cependant pas d'une cinégénie des plus folles, qui plus est quand elle est brossée sous l'aspect d'une contradiction parfois simpliste. C'est qu'Edward veut bien faire et aider son pays, tout en jouant les vierges effarouchées sur les méthodes employées, sans contrôles ni garde-fous. Cela peut s'envisager. Mais son itinéraire est bien moins logique, puisqu'il démissionne tout d'abord de la CIA, avant de... Se faire réembaucher en sous main de la NSA. L'idéalisme est un sentiment fort louable, la naïveté de penser qu'en changeant de crèmerie, on trouvera une organisation plus respectueuse de nos libertés, beaucoup moins.


Le film est ainsi rythmé des prises de conscience finalement assez soft de Snowden, entremêlées de quelques épisodes d'une vie privée un peu neuneu faites de querelles d'amoureux, de séparations temporaires et de câlins rassurants, où Shailene Woodley peine à se distinguer.


Pourtant, le sujet intéresse. Grandement. Mais Oliver Stone échoue, à mon sens, à dynamiser son récit, qui ressemble dès lors bien plus à un maxi documentaire deluxe qu'à un véritable film de cinéma. Aucune tension, aucun stress, aucun rebond, Snowden semble raconté en mode automatique, sans grande passion pour son sujet qui aurait pu donner un superbe thriller paranoïaque et dense. Et Stone ne semble que s'intéresser à son personnage, tel une véritable groupie de l'idéaliste, sans en extraire le sujet qui dépasse de loin les "simples" enjeux du lanceur d'alerte, ou alors, de manière très tardive et survolée.


Car un Oliver Stone d'hier, celui des oeuvres citées en début de ce modeste avis, aurait porté les thématiques d'un film comme Snowden bien plus haut, de manière bien plus concernée, de manière bien plus polémique. Ici le film adopte le rythme régulier de l'électrocardiogramme d'un comateux, laissant de côté, la majorité du temps, la question qu'il posait pourtant dans sa bande annonce, fascinante, du choix opéré entre sécurité et liberté par le peuple américain, alors même que ce dernier n'en a pas réellement conscience... Ou abandonne, de manière résignée, ce choix aux pouvoirs et aux grandes entreprises.


Un Oliver Stone d'hier aurait pointé de manière bien plus vive, dans un cri de rage, les hypocrisies d'une présidence, tant démocrate que républicaine, qu'il aurait renvoyées dos à dos, ainsi que la naïveté d'un Barack Obama qui ne serait pas au courant de ce qui se passe dans ses propres agences de renseignements. Il en aurait aussi souligné les compromissions, les intérêts douteux, l'omniprésence, les excès du tous surveillé, ou ses actes absolument honteux à l'égard d'un patriote qui ouvre les yeux et les consciences... Qui ne trouve finalement refuge que chez un grand ami de la démocratie (sourire ironique).


Mais pas dans Snowden. Car Oliver Stone, avec ce film, semble résigné, désabusé. Certes, il place quelques petites piques à la fin de son oeuvre, presque fugitives. Mais il manque réellement quelque chose. Comme s'il n'était plus animé du feu sacré, comme s'il avait baissé les bras, las de ne plus être audible. Il semble filmer par ailleurs de manière assez impersonnelle. Même si des flashs fugitifs de sa grandeur se retrouvent ça et là, comme lors de cette visio conférence où le visage de Rhys Ifans, démesuré, écrase littéralement Joseph Gordon-Levitt, ravalé au simple rang de petite main ou de pantin des intérêts de la United States Agency.


Finalement, Snowden, aussi intéressant soit-il dans son sujet, manque de souffle. Il manque aussi tout simplement d'un Oliver Stone. Celui qu'on a connu naguère. Celui de Platoon, de JFK, de l'Enfer du Dimanche.


Behind_the_Mask, Oliver & Cie.

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le 19 nov. 2016

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