Qui est Maria Enders ? Une comédienne de renom, probablement de nationalité française – elle règle son divorce et le partage de ses biens immobiliers à Paris en parlant en français avec son ‘futur ex’ et son avocat – devenue une star internationale, justifiant qu’elle ait abandonné sa langue originelle pour l’anglais du business (des gens dans le coup ?) et s’adjoigne la collaboration d’une assistante…américaine. Maria Enders est surbookée, des projets, des sollicitations, des invitations à la pelle que Valentine, la fidèle assistante, secrétaire, répétitrice, doit organiser, pendue à ses téléphones, rivée à sa tablette, connectée non stop. C’est à bord d’un train traversant la Suisse que nous faisons la connaissance des deux femmes : Maria est invitée à un festival où elle doit recevoir un prix au nom d’un auteur de théâtre retiré du monde avec lequel la star connut son premier succès à dix-huit ans – lequel auteur a le mauvais goût de mourir.

Dernier film du bientôt sexagénaire Olivier Assayas, ancien critique, cinéphile accompli et metteur en scène efficace, Sils Maria se divise en deux parties suivies d’un épilogue. Démarrée par la scène endiablée du train et poursuivie par les séquences autour du festival, le premier chapitre se conclut par l’acceptation de Maria à reprendre la pièce de l’auteur récompensé et décédé, en incarnant non plus la jeune fille ambitieuse, mais la femme plus mûre et énamourée de celle qui la conduira au suicide. Le second volet prend place à Sils Maria dans le chalet de l’auteur où ont lieu les lectures (et les explications de textes qui vont avec), les répétitions et la rencontre avec la jeune actrice américaine, pressentie pour endosser le rôle de la jeune fille.

Billard à trois bandes féminines, le film interroge le passage du temps et la confrontation d’une culture noble (et étrangement germanique) avec les nouveaux modes de consommation frénétique et de zapping permanent. Car Maria Enders a beau s’exprimer dans la langue du Nouveau Monde, elle demeure un pur produit de la vieille Europe, arrogante et supérieure, persuadée de détenir le bon goût et dissimulant très mal son mépris de la sous-culture d’outre-Atlantique. Valentine – le personnage le plus intéressant car le plus ambigu du trio, joué par la surprenante Kristen Stewart venue de la série Twilight – pourrait par son écoute intelligente être la passerelle entre ces deux univers, mais Maria refuse d’entendre ce qu’elle a à lui dire, tout au long des répétitions d’une pièce hélas très pauvre. C’est exactement à cet endroit que le bât finit par blesser : l’indigence des propos, la convention des conversations – un constat déjà formulé au sujet de Winter Sleep et ce n’est dès lors guère étonnant, et après tout logique et opportun, que les figures de Bergman et de Tchekhov soient identiquement invitées au chevet de deux œuvres incapables d’exister par et pour elles-mêmes.

Quelques mois après Maps to the Stars, Sils Maria apparait bien comme la version édulcorée, propre sur elle, culturelle et élitaire, snobinarde et prétentieuse du film de David Cronenberg. Plus terrible encore que ce rapprochement facilité par la proximité des sorties des deux longs-métrages, c’est le souvenir de John Cassavetes et de Gena Rowlands qui envahit le spectateur. Un souvenir où se mêlent la cruauté, la détresse, la démesure, bien loin de ce film au final lisse et horripilant où Juliette Binoche n’a toujours pas saisi ce que voulait dire retenue et incarnation.
PatrickBraganti
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le 24 août 2014

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