En 2001, le surdoué M. Night Shyamalan présentait Signes, un film qui, tout en étant fidèle à l’approche, aux obsessions et au savoir faire propre à son réalisateur, dresse un portrait saisissant et pertinent de la société américaine, de ses peurs et de ses croyances à un moment clé de son histoire.


Shyamalan reprend ici la même démarche que pour ces deux précédents films, Le Sixième Sens et Incassable. Il part d’une légende urbaine, d’un fait divers dont tout le monde a entendu parler, les crop circles, et lui donne une explication dans le cadre d’un récit fantastique/sf, ici celui d’une invasion extraterrestre. Ce présupposé sert alors de déclencheur à une histoire qui, dans le cadre d’un quasi huis clos, s’intéresse surtout à l’humain. Le réalisateur saisit ainsi ses personnages, des êtres un peu paumés, perdus, traumatisés et profondément tristes, avec la justesse adéquate, les regardant, eux et leur folie douce, sans aucun pathos mais toujours avec une réelle tendresse (cf. les scènes avec les chapeaux en aluminium). De leurs maladresses d’humains, il tire même un humour qui cohabite étrangement bien avec le ton dramatique du film. Il faut dire, aussi, que les acteurs sont tous irréprochables : de Mel Gibson, tout en retenue, à Joaquin Phoenix, impeccable. Et rares sont les réalisateurs qui, comme Shyamalan, savent diriger les enfants sans les infantiliser. Chez lui, comme chez Spielberg, ceux-ci sont même souvent plus adultes que les adultes eux-mêmes. Pour preuve, la scène du dernier repas où c’est le fils qui réconforte le père.


Par ailleurs, Signes parle aussi de la peur, très américaine, de l’étranger (l’alien), cette peur réactivée après le 11 septembre et relayée par les théories du complot - on accuse d’abord les voisins - , cette peur qui incite au repli sur la cellule communautaire - où tout le monde se connait - ou sur la famille, comme celle de Graham. Celui-ci, comme pour symboliser ce renfermement, est souvent représenté à l’intérieur de cadres (fenêtres, portes…). Et, de façon très pertinente, le film montre comment cette peur est amplifiée par les médias, et surtout par la télé qui creuse les distances entre les gens. Car, pour Shyamalan, la menace vient des écrans, c’est à travers ceux-ci qu’on voit enfin clairement les extraterrestres (dans les deux seules scènes où ils se montrent). En se sens le film acquière une dimension quasi prophétique puisque, sorti en octobre 2001 et donc écrit et tourné avant les attentats du World Trade Center, il annonce la façon dont les médias allaient participer à la terreur post 9/11. L’une de ces scènes est d’ailleurs remarquable par la façon dont elle amène à la peur. On y voit Merill, accroché à sa télé, regardant une vidéo amateur dans laquelle apparaît pour la première fois un extraterrestre, furtivement. Cette mise en abyme - façon Fenêtre sur Cour - introduit une identification très forte du spectateur qui ressent alors exactement les mêmes émotions que le personnage : l’angoisse de l’attente, la tension qui monte au rythme de la musique - aussi belle que terrifiante - de James Newton Howard, puis l’explosion de frayeur à la vue de l’alien. Ce qui fait le plus peur alors, ce n’est pas la surprise mais son anticipation, ce n’est pas ce qui est montré mais ce qui ne l’est pas tout en étant suggéré. Tout le dernier acte, grâce à un brillant usage du hors-champ et de l’obscurité, repose aussi sur ce principe : celui de la menace invisible (un travail digne des Dents de la mer).


Enfin, le film aborde aussi la question de la foi. En effet, le titre "Signes" ne renvoie pas tant aux crop circles qu’aux signes que Graham choisit finalement d’interpréter, non pas comme de pures coïncidences, mais comme les manifestations d’une présence qui lui est venue en aide. Une fin qui « dérape vers le mysticisme » ont dit certains (Pierre Vavasseur, Le Parisien). Mais le fait est que le réalisateur ne fait pas de la foi une évidence - Graham doute jusqu’à la fin - mais plutôt un choix, choix qui n’oblige personne. Et pour Graham c’est surtout le choix de croire en la vie, plus qu’en un Dieu.

Toshiro
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le 19 déc. 2014

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