Spoilers


Contrairement au premier film qui suivait avec lenteur les réactions ahuries d’un agent du FBI qui semblait découvrir la nature humaine avec une grande naïveté, ce deuxième volet de la trilogie annoncée fait fi du jugement moral qui plaît tant aux foules pour plonger sans concessions dans le coeur de son sujet.


Comme l’explique son brillant réalisateur Stefano Sollima :


« Her character (Emily Blunt), in the first one, was a sort of moral point of view, no ? So everything was this new world and the two characters of Matt and Alejandro were introduced by her, but with the moral judgment in. I think the most interesting part of Soldado was that now, you face the two characters without any filter, without any moral judgment, and you start knowing them better and they are not exactly what you expect. »


Ou encore :


« …in Sicario you have the Emily Blunt character who is sort of the moral compass. She constantly judges the other characters. In Soldado, you don’t have this. You have just a world with some characters and there is no moral judgement on them


et de continuer :


« …that is something that I hate in a movie. To watch a movie when I feel there is someone else who’s trying to give me a code to read the story, or to read the moral of the story. I think my style is completely different because I think the audience is smart enough to get the message of the film even if you don’t show it so clearly. »


Au lieu de nous obliger de s’offusquer de la situation comme Denis Villeuneuve aime à le faire, en imposant une lecture partisane et politique d’un sujet éminemment plus complexe, Stefano Sollima présente les choses dans leur vérité pure uniquement par la mise en scène, sans avoir la prétention de dire aux spectateurs quoi penser, ni comment. Les personnages restent ainsi dans une zone grise, ni bonne, ni mauvaise, questionnant constamment leur nature humaine et ses principes.


Alors que Sicario s’intéressait à un personnage principal qui n’était qu’une spectatrice impuissante qui subissait la narration sans pouvoir y intervenir (exemple le plus parlant dans la scène réussie d’extraction à la frontière mexicaine), l’intrigue de ce Soldado se resserre sur le personnage de Benicio Del Toro, en l’humanisant et le faisant évoluer tout au long du récit. Là où dans Sicario Alejandro était un personnage secondaire mystérieux, réduit au rang de tueur froid robotique, Soldado le rend de plus en plus sensible, fissuré, au point de trahir son équipe et sa mission pour tenter de sauver la fille (sa fille symbolique) d’un baron de cartel mexicain.


La mise en scène efficace de Sollima met en place petit à petit les éléments de l’intrigue, en essayant toujours de présenter les choses le plus clairement possible (les nombreux plans aériens en plongée) et en allant également au plus près des personnages dans des espaces restreints ou bien des scènes intimistes.


Une scène marquante d’authenticité se déroule entre Benicio Del Toro et Bruno Bichir, où les deux acteurs vont se retrouver à communiquer en langue des signes dans un silence à la fois reposant et angoissant. La performance de Bruno Bichir est époustouflante, tout en subtilité, on le voit notamment jouer avec sa glotte pour communiquer la peur de son personnage, et un langage gestuel qui révèle presque une forme de résignation quant à l’issue possiblement mortelle du dialogue. Une preuve de plus du talent de directeur d’acteurs de Sollima.


On retrouve également une autre scène intimiste vers la fin du film entre la petite Isabel Reyes (Isabela Moner), impeccable tout au long du film, et Josh Brolin dans un hélicoptère. Le dialogue est encore une fois silencieux, ne se passe qu’entre leur regard. Les larmes et la rage contenus à la fois chez l’homme et la petite fille procurent à la scène une intense émotion lourde de sens. Josh Brolin est alors au sommet de son art.


Côté action, les scènes rythmées sont impressionnantes d’efficacité, maitrisées et intenses, on pense notamment à la scène à bord des Humvee (véhicules militaires) et à la scène finale avec les deux hélicoptères, d’une brutalité et d’une audace rares au cinéma. À noter au passage, le respect technique accordé aux armes, aux tactiques militaires et au réalisme sec de ce genre de situations.


Un scénario surprenant de Taylor Sheridan qui multiplie les rebondissements sans tomber dans le popcorn, et qui se permet, à la manière peut-être des Coen (on pense à No Country for Old Men), de jouer avec ses personnages, à l’instar de Wind River ou Comancheria. N’hésitant jamais à faire échouer ses héros, ou à jouer avec leur vie ou en leur insufflant une aura mythologique (la renaissance d’Alejandro).


En se servant du trauma d’Alejandro (la perte brutale de sa fille), Taylor Sheridan et Stefano Sollima distillent la souffrance du personnage tout au long du film, influant sur ses choix et sur l’histoire elle-même. Ils recréent ainsi le lien père-fille au sein du duo, n’hésitant pas à questionner leur confiance au cours d’une scène pivot lorsque Alejandro se fait démasquer par les passeurs de la frontière. Le seul espoir tient alors dans le mensonge d'Isabel quant à l'identité d’Alejandro. La mort symbolique du personnage intervient précisément après l’échec de son objectif (sauver la fille), qui montre la seule échappatoire au trauma d’Alejandro : la mort. Mais lorsque le scénariste décide de faire « revivre » son personnage (dans une longue séquence haletante), c’est pour lui donner un nouvel horizon que l’on devine dans la scène finale du film.


En bref, du cinéma profond et brillant au service d’un scénario dur et sans compromis, qui évite de prendre la main du spectateur et l’invite à regarder entre les lignes, sans prétention.


Le dernier plan du film (la porte qui se referme sur le visage de l’adolescent) fait écho au plan final du Parrain, jouant ainsi sur la symbolique du pacte faustien qui va avoir lieu entre Alejandro et Miguel, dans le supposé dernier volet de la trilogie.


"I try never to put a moral judgment in what I’m doing, because this is something that the audience wants to discover, no ? The real soul of a movie or the real moral is we have one in the movie, it’s better if the audience discovers it on their own without being guided like a child. You know what I mean ? So that way, it’s more as it is in the reality. You don’t have white, black, good, and bad. Everything is shades of gray. Every human being has his complexity, has his contradiction. And this is why it’s beautiful to tell stories like this one, which are more real."


https://uproxx.com/movies/sicario-day-of-the-soldado-stefano-sollima-interview/
https://www.slashfilm.com/sicario-2-director-interview/

Tom_Selleck
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le 2 juil. 2018

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Tom_Selleck

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