Sicario c'est le braquage parfait : de l'amateurisme dans la procédure maquillée par l'énormité des moyens à disposition. Plus c'est gros, plus ça passe dit l'adage. Sicario c'est également l'un des plus beaux exemples de ces belles coquilles vides, une expression désormais éculée et malheureusement rarement galvaudée, que nous offre le cinéma américain depuis une grosse dizaine d'années. Depuis quatorze ans exactement diront certains, et les attentats du 11/09. Depuis sept années en réalité, comme les corrigeront à raison les puristes, et la crise des subprimes qui entraina la faillite de Lehman Brothers et la récession de la plupart des pays industrialisés du monde. Car si la première tragédie secoua Hollywood en son fort intérieur et l'invita vers de nouveaux horizons emplis de réalisme (plus d'astéroïdes exterminateurs ou de putains de dinosaures à la con), la seconde ne fit au contraire que le renfermer sur lui-même, en proie au pessimisme le plus primaire, le plus bête.


La Guerre des Mondes, The Dark Knight ont fait des petits. Sicario s'inscrit en effet dans cette longue fratrie de bâtards qu'engendrèrent malgré eux les meilleurs auteurs d'Hollywood (Gaghan, Koepp, Boal, Nolan...) et qui entraina dans les salles obscurs les américains en psychothérapie de groupe. Si une sorte de catharsis s'opéra bel et bien avec deux-trois films, cela se résumait le reste du temps à un cours de géopolitique niveau grande sections de maternelle et à l’annihilation radicale du maudit manichéisme des années 80-90 : désormais c'est tous pourri.


Voilà ce que nous dit Sicario de l'état actuel d'Hollywood. C'est d'ailleurs sa principale (et seule) qualité mais également sa limite, tant le constat est accablant et alarmant : il n'y aurait plus de bons métrages sans misérabilisme et cynisme. Plus de bons scénarios sans complots gouvernementaux et idéaux brisés. Une paresse intellectuelle qui cache un profond malaise de la société actuelle, et qui ne pourra être inversée tant que des films comme celui qui nous intéresse continueront de ramasser tous les suffrages.


Que se cache derrière cette affiche léchée et ce titre racoleur? Derrière cette mise en scène crépusculaire et cette bande sonore spectrale? On aurait aimé y découvrir le scénario qu'Hollywood gardait jalousement dans ses tiroirs depuis si longtemps, arguant qu'il ne pouvait être confier à n'importe quel artisan, et nous présentait comme son meilleur depuis des années. Malheureusement rien n'en ressort si ce n'est cette histoire de coup d'état de la CIA dans le milieu de la drogue sous couvert du démantèlement d'un cartel mexicain, certes brillante, mais terriblement vaine sur le plan humain... En effet, comment s'attacher, ne serais-ce que croire même, à ce personnage de flic idéaliste et maladivement naïf comme il n'en existe plus aujourd'hui qu'au cinéma?


La deuxième qualité du film, qui n'en est pas vraiment une, est d'ailleurs d'interroger sur le degré de crédibilité des personnages au cinéma. A quel point doivent-ils l'être? La réponse est double selon la nature du film : ou bien l’œuvre est une fiction pure et ne s'intéresse qu'au bon déroulement de son schéma narratif, auquel cas la véracité des sentiments et des comportements des protagonistes importent peu, ou bien l’œuvre se veut ancrée dans une certaine réalité historique et sociale et alors ses personnages se doivent d'y être en phase. Précisément ce que la fliquette assez faiblement et mécaniquement interprétée par Emily Blunt n'est pas là où le spectateur, lui, l'est. On assiste donc, défiguré par la même incompréhension que la calandre du radiateur d'un 35 tonnes qui voit lui foncé dessus une voiture à contre-sens, à l'anéantissement des pauvres idéaux de notre merlan frit dont on peut d'ailleurs légitimement s'interroger sur les fondements. A croire que la demoiselle n'a jamais entendu parler du watergate, de l'implication de la CIA dans la junte de Pinochet ou de l'inexistence des armes de destruction massive dans les arsenaux de Saddam Hussein... ou de SeaWorld! Ni même qu'elle n'a vu aucune série, aucun film, ni lu aucun livre narrant l'histoire putride de son pays de mafieux.


Seul trait de caractère, hormis son inculture qui pourrait s'expliquer par son analphabétisme (que la nationalité comme le métier corroborent), un teeshirt crade et un jogging taché. Même chose pour les personnages de barbouzes blasés de Brolin et del Torro, respectivement "le mec avec des tongs" et "le chicanos avec un sac" du scénario.


Reste que la mise en scène de Villeneuve est techniquement irréprochable bien qu'un peu trop appuyé à mon goût. Faire étalage de son savoir-faire m'a toujours plus ou moins agacé quand derrière rien le reste est à la peine. Le symbolisme de la scène de bravoure par exemple, ce moment où les silhouettes du groupe d'intervention plonge vers le tunnel et quitte la lumière pour s'approprier les ténèbres, aurait pu être le sommet de sa carrière. Évidemment, lui aussi n'est pas exempt de tous reproches. Sa volonté de photographier les moindres séquences nocturnes en contre-jour ou de poser exagérément ses poses, si elle est louable dans son ambition, dénote un manque de maturité et d'humilité qui aurait pénaliser les subtilités du scénario si tant est qu'il y en avait eu. Dernier coupable, peut-être le plus répréhensible à mes yeux, de cet échec artistique, le compositeur de la bande original du film Jóhann Jóhannsson, qui semble confondre musique et brouhaha, mélodie et monotonie, finesse et paresse. Un type qui écouterait le bruit sourd de l'autoroute avant d'aller se coucher et qui mixerait le fracas des pâles d'un hélicoptère avec le battement d'un cœur arythmique avant de nous le vendre comme la cinquième saison perdue de Vivaldi ou la dixième symphonie de Beethoven.


Dans ce braquage de haute volée, ce pacte des loups, celui qui reste dans la voiture et fait tourner le moteur pendant que ses collègues demi-habiles nous contes monts et merveilles avec la subtilité d'un bulldozer dans un musée, c'est lui. Dès les premières secondes et l'apparition du générique, l'overdose est déjà là. Trop d'ambiance, pas assez de musique. A l'image de ces films comme Hollywood les aime et les préconise finalement : trop de posture, pas assez de cinéma.

blig
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le 13 oct. 2015

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