Découvrir Showgirls aujourd’hui a une saveur vraiment particulière. Difficile en effet de ne pas le voir avec à l’esprit le statut particulièrement clivant qu’il peut encore avoir auprès des gens. Etrillé par la critique de l’époque, récipiendaire de 7 razzies en 1996, on peut dire que le brûlot outrancier concocté par le toujours irrévérencieux Paul Verhoeven aura été incompris. Défendu à l’époque par Jacques Rivette lui-même, le film a acquis au fil des ans un statut d’œuvre culte à réévaluer. Aujourd’hui, même si quelques critiques continuent à considérer avec orgueil le film comme une purge, on peut tout de même affirmer que le « hollandais violent » a depuis longtemps obtenu sa revanche.


Ce qui frappe d’emblée, dès le premier plan, c’est l’aspect volontairement outrancier du métrage. On y suit Nomi Malone, faisant du stop pour se rendre à Las Vegas, où elle espère devenir danseuse. D’emblée, difficile de ne pas voir l’ironie du metteur en scène, dans la direction d’acteurs hystérique, les situations excessives, et la photographie clinquante. Pourtant, loin de provoquer le rejet, ces choix entraînent immédiatement la fascination du spectateur, qui rit sincèrement des dialogues improbables nous montrant bien qu’il ne faut pas être dupe. Immédiatement, la flamboyance quasiment baroque de la mise en scène saute aux yeux et captive le spectateur qui n’a qu’une envie, suivre jusqu’au bout ce personnage interprété de manière particulièrement volontaire par Elizabeth Berkley. Et dès l’arrivée à Vegas, le point de vue du scénariste Joe Eszterhas ne fait aucun doute. Cité de tous les vices, emblème d’un rêve américain perverti, ce n’est certainement pas l’eldorado espéré par la jeune femme, et comme l’on est chez Verhoeven, la gueule de bois sera particulièrement corsée.


Les principales critiques formulées à l’encontre du film concernaient son aspect à priori inconséquent. Et il est vrai que pour qui n’aime pas regarder au-delà des images, la sensation de vide peut se révéler particulièrement gênante. L’accumulation de numéros de cabaret particulièrement vulgaires peut donner l’illusion que le metteur en scène se vautre dans les travers qu’il prétend dénoncer, uniquement pour permettre au spectateur mâle de se rincer l’œil. Et il est évident que si le film avait été réalisé par un simple tâcheron anonyme, le traitement en aurait certainement été beaucoup plus premier degré. Mais c’est Verhoeven qui réalise, et en l’état, il est difficile de voir dans cette succession de scènes de danses lascives et sexuellement explicites (nudité frontale omniprésente) autre chose qu’une façon de dégoûter le spectateur, qui venait pour mater, mais s’est retrouvé devant un objet virulent, pointant du doigt le voyeurisme primaire, dans une sorte de mise en abyme, les spectateurs dans le film pouvant être assimilés à ceux, bien réels, venus voir un simple film érotique, transformé en brûlot par un cinéaste franc tireur ne supportant pas les émotions factices. Les dialogues grossiers, situations déviantes et éclairages aux néons sont totalement cohérents dans ce cirque géant dont se moque cyniquement le réalisateur.


Malgré le propos ne laissant que peu de place à l’ambiguïté, malgré l’aveuglement (inconscient ou non) des critiques de l’époque, le traitement est évidemment risqué, le risque de saturation étant grand devant une structure volontairement répétitive. Mais là encore, alors que l’on pensait être confortablement installés devant un film critique mais fun dans sa démesure, et après une scène de sexe dans une piscine pouvant évoquer un téléfilm érotique du dimanche soir brillamment mis en scène, et mettant les hormones des spectateurs en ébullition, Verhoeven nous balance une scène de viol collectif d’une brutalité inouïe, durant laquelle ce dernier semble s’adresser aux spectateurs / mateurs en leur disant : « vous pensiez mater tranquillement, sans être remis en question, mais voilà l’envers du décor, c’est moche, et tant mieux si ça vous déplaît, c’est le but recherché » ! A ce moment-là, toute l’inconséquence jubilatoire du reste du métrage apparaît sous un autre angle, pour qui ne l’avait pas encore remarqué, et il est impossible, dès lors, de rester aveugle au propos.


Comme dit plus haut, l’interprétation est globalement outrancière, raccord au traitement général, mais ne se révèle pas du tout gênante, nous entraînant dans un tourbillon de situations qui, enchaînées les unes aux autres, loin de provoquer le rejet, finissent par nous enivrer et exploser tous nos sens. Elizabeth Berkley, par son assurance, et son jeu animal, incarne à merveille un personnage qui, sous ses airs de jeune femme innocente et inconsciente des dangers qui la guettent, saura toujours garder son destin en main, et au final, tiendra tous les hommes du film par les couilles, ces derniers n’étant pas montrés sous leur meilleur jour. Au final, on peut même voir le film comme une sorte d’ode féministe radicale, sans le moindre discours bien pensant, utilisant le corps dénudé de son actrice non pas comme vecteur de fantasme (quoi que, elle est quand même très sexy), mais comme arme pour manipuler les hommes et en faire ce qu’elle veut. Mais pas dans l’esprit « femme fatale » typique des films noirs américains, plus comme affirmation d’une féminité que rien, ni personne, ne peut arrêter.


Le plan final enfonce le clou d’un film toujours conscient de ses excès, prenant le risque du ridicule à chaque instant, mais qui, par sa mise en scène virtuose et son sens de la démesure, laisse sur une impression de grande œuvre malade, qui pourra traverser les décennies sans prendre une ride, au contraire de bien des films dits « de prestige », oubliés instantanément, une fois passée la saison des prix. Une œuvre grandiose à laquelle la sublime restauration opérée par Pathé redonne son lustre d’antan ! Les heureux spectateurs ayant une salle le diffusant à proximité de chez eux ne doivent surtout pas se priver de cette occasion de le (re)voir dans des conditions optimales.

micktaylor78

Écrit par

Critique lue 987 fois

25

D'autres avis sur Showgirls

Showgirls
Star-Lord09
8

"´know me, I'm alone"

Avant de vous ouvrir son coeur et sa fleur, "Showgirls" a deux secrets a vous révéler à propos de son personnage principal. Le premier est un subtil jeu de mots. "Nomi Malone" est une danseuse...

le 26 nov. 2016

71 j'aime

21

Showgirls
Prodigy
7

Critique de Showgirls par Prodigy

Vulgos, con, outrancier, clinquant, bordélique, dopé à la provoc' minable, un scénar (ou une idée de scénar) de tonton Joe le beauf Eszterhas ... et pourtant je ne peux pas m'empêcher de surkiffer ce...

le 1 oct. 2010

62 j'aime

6

Showgirls
Sergent_Pepper
6

Trashdance

Revoir Showgirls à la faveur d’une rétrospective intégrale fait du bien à l’un des grands fours de Verhoeven : bien entendu, on est bien loin du chef-d’œuvre, mais tout autant l’est-on de l’étron...

le 25 mai 2016

54 j'aime

1

Du même critique

Les Chambres rouges
micktaylor78
8

Au plus profond de l'âme humaine

Il se passe quelque chose du côté du cinéma québecois depuis quelque temps. Là où il est toujours tentant de n’envisager ce dernier que sous l’angle de l’accent rigolo légèrement folklorique, et donc...

le 19 janv. 2024

50 j'aime

9

Pleasure
micktaylor78
7

Critique de Pleasure par micktaylor78

Nous arrivant précédé d’une réputation très sulfureuse, ce premier long métrage réalisé par la suédoise Ninja Thyberg, d’après son court du même nom remarqué en 2013, et labellisé Cannes 2020, entend...

le 19 oct. 2021

45 j'aime

13

Baby Driver
micktaylor78
8

L'entertainment classieux dans toute sa splendeur.

On l’attendait avec impatience, ce nouveau film de Edgar Wright, l’homme derrière la « trilogie Cornetto », devenue culte pour une génération de cinéphiles. Il faut dire que cette dernière était en...

le 16 juin 2017

37 j'aime

18