Shock Treatment
5.8
Shock Treatment

Film de Jim Sharman (1981)

La folle comédie musicale The Rocky Horror Picture Show (1975) est mon film culte, voilà. La claque ressentie devant, un aller-retour et un bisou goulu, ne pourra jamais s’effacer. Avec cette relecture glam, pop et sexy du mythe de Frankenstein, Richard O’Brien avait su créer pour les planches une comédie musicale déjantée, qui ne perdra rien de sa folie lors de son adaptation en film dont il s’est chargé avec son ami Jim Sharman.

Ce « midnight movie » classique fut pourtant produit par un grand groupe, la 20th Century Fox (ce qui signifie donc depuis le rachat de la compagnie que The Rocky Horror Picture Show est maintenant un film Disney, outch). Plus que ravie du succès du film à l’époque, elle offre à Jim Sharman toute sa confiance et un budget généreux pour proposer un nouveau film qui fut donc Shock Treatment en 1981. Le film n’aura pas le même succès, loin de là, les fans furent décontenancés. De la fable exubérante et joyeuse du Rocky au miroir grinçant du film de 1981, la folie est toujours là mais clinique, et la satire maintenant omniprésente.

Shock Treatment propose une lecture à plusieurs degrés, emmêles et empêtrés dans une histoire à l’humour malaisant, qui ne cherchera pas à embellir ses personnages. Brad et Janet, habituel couple du quotidien, déjà utilisé dans le film précédent, sont une nouvelle fois plongés dans un monde qui les dépasse, mais qui cette fois ne fera pas éclater leurs pulsions sexuelles, leur envie de vie, bien au contraire. Le couple est au bord de l’implosion, Brad est en dépression, Janet ne sait plus quoi faire.

Invités sur le plateau de Denton TV, chaîne locale de télévision exubérante et manipulatrice, Janet est incitée à laisser Brad aux bons soins de médecins d’un nouveau show, entre psychiatres et charlatans, acteurs et savants fous. Enfermé, drogué, Brad est impuissant, tandis que les pontes de la chaîne sont aux petits soins pour Janet. Notamment l’étrange et fantasque Dr Bert Schnick, animateur faussement aveugle d’une émission de (mauvais) conseils matrimoniaux. Janet est pour eux la parfaite « fille d’à côté », l’innocence et la banalité réussies, qu’ils vont pourtant travestir en un monstre d’égo, une diva capricieuse.

La résolution de The Rocky Horror Picture Show était gentillement tirée par les cheveux, mais se tenait, ce qui ne sera pas le cas ici, où l’idée maîtresse est un évident cliché mais ici mal employé (il y avait mieux à faire avec cette idée du double et du miroir). La dernière partie du film, depuis l’égotique Janet, patine un peu, peinant à renouveler la fascination jusqu’à alors proposée.

Mais avant, Shock Treatment offre un propos d’un grinçant éclat, qui n’épargne aucun personnage, tous manipulateurs ou manipulables, peut-être même parfois les deux. Attaqué par des propos insidieux, des remarques perfides, le couple de Brad et Janet est essoré et lessivé. Le film nous rappelle qu’un couple est une construction, un effort collectif des deux principaux concernés, mais aussi un objet de jeu dans des mains extérieures. La violence des paroles aurait pu être plus forte si le duo nous avait été présenté plus chaleureusement, mais le film nous les offre déjà fragilisés, ce que Denton TV utilisera à son profit.

Avec Denton TV et son réseau de programmes divers et populaires, Richard O’Brien, qui vient du monde du spectacle, est assez clair dans sa vision de la télévision de ces années. Un outil de manipulation des masses, derrière les belles paroles d’amour, derrière l’honnêteté revendiquée de ses animateurs, où l’argent (du nouveau sponsor) est roi. Les valeurs proclamées fièrement par la chaîne telles que la vertu, l’innocence ou la simplicité sont toujours bafouées, contredites par des agissements discutables. La plus intègre représentante de cette équipe de télévision est d’ailleurs remerciée dès le début, menant alors en parallèle avec son dernier invité une enquête qui ne représente malheureusement pas l’intrigue secondaire la plus intéressante du film. Elle sert notamment à signaler qu’il y a un ver dans la pomme de la chaîne, ce qui n’est de toute façon pas si difficile à comprendre.

Le plateau de télé est un monde clos, dont les personnages mais aussi le spectateur ne sortiront pas. C’est un univers aliénant, bouffi par ses ambitions, ses mensonges et ses délires. Les murs capitonnés le rappellent bien, et d’ailleurs la psychiatrie est elle aussi rhabillée d’un costume peu flatteur, avec son duo de docteurs sadiques ou ses expérimentations sur Brad, le « shock treatment » du titre n’est pas innocent.

La réalisation joue d’ailleurs à la fois de cet enfermement mais aussi de ce monde replié dans sa folie. La caméra se fait le témoin des passages entre les couloirs et les portes, dans ces coulisses enfermées. Mais elle se fait parfois plus aérienne, pour mieux observer le plateau de télévision ou s’en rapprocher. L’une des premières scènes est l’arrivée du public sur les estrades, une foule bigarrée, composée de personnes diverses et variées, qui seront les spectateurs du spectacle. Là encore, comme dans The Rocky Horror Picture Show, mais les hédonistes voyeurs participaient à l’action pour leur plaisir ou observaient les frasques du génial Frank-N-Furter. Ici, le public réagit sous les ordres du chauffeur de salles ou des harangues de l’animateur, il se croit actif mais il est en fait manipulé.

La caméra de Jim Sharman ne met d’ailleurs pas en évidence certains plans, certains détails pour rien, la réalisation est riche de symboles, dans une exubérance assumée, mais le plus souvent réussie. Elle confond l’écran avec ceux des écrans du plateau, les regards caméra devenant alors bien plus lourds de sens. Elle évoque les fenêtres de ces murs comme autant d’écrans, à l’image d’une très belle scène qui va de chambre en chambre pour en dévoiler un peu plus sur les personnages présents. Cette réalisation joue avec les codes de ces chaînes de télévision, pour mieux en exprimer toute la malhonnête, derrière les beaux jingles, les publicités consuméristes et les sourires et les paroles creuses.

Ce malaise troublant est d’ailleurs employé dans les chansons du film, à nouveau une comédie musicale mais cette fois ci bien plus cynique. Richard Hartley revient, la bande-son est rock et pêchue, dans des tonalités assez semblables à The Rocky Horror Picture Show. Ce sont les paroles qui diffèrent, toujours de Richard O’Brien. L’innocence de « Denton U.S.A. », l’outrance de « Thank God I'm a Man », l’égotiste « Me of Me » ou l’électrique « Shock Treatment » font partie des meilleurs morceaux, même si le dansant des titres s’accorde tout de même moins bien à l’ironie noire de ce film.

Quelques acteurs font leur retour, et c’est un régal de retrouver Richard O'Brien, Patricia Quinn, Nell Campbell, Charles Gray ou Jeremy Newson même si certains sont plus discrets. Ils pouvaient difficilement être plus flamboyants. Bien sur, sans Tim Curry, la fête est moins folle, mais son personnage de Dr Frank-N-Further avait eu sa conclusion. C’est plus regrettable pour les nouvelles incarnations de Brad et Janet, Barry Botswick et Susan Sarandon faisaient des étincelles, d’abord prudes, puis contaminés par la folie du manoir. Cliff de Young et Jessica Harper apparaissent en retrait, malgré un double jeu chacun, la dualité étant l’un des thèmes du film. Jessica Harper, déjà vue dans The Phantom of the Paradise et Suspiria, a tout de même une belle voix. Dans les nouvelles têtes, Barry Humphries pour Bert Schnick est formidable, exalté et inquiétant à la fois.

The Rocky Horror Picture Show était une fable folle et chaleureuse, la folie de Shock Treatment est avant tout une farce ironique et cynique sur le couple, l’égo et l’hypocrisie de la télévision. Le tout emmêlé avec génie, parfois empêtré avec embarras. Le tout reste tout de même diablement réussi, avec une personnalité qui n’appartient qu’au film, sans vrais rivaux. Quel dommage qu’il fut boudé et mal compris par des fans qui pensaient trouver une « vraie » suite. Richard O’Brien, Jim Sharman et tous ces acteurs géniaux ne purent retravailler ensemble, laissant un esprit de liberté, de joie ou de cynisme, s’éteindre.

SimplySmackkk
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le 29 déc. 2022

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le 29 déc. 2022

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