Arrête de me regarder.


Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu crois voir ? C’est parce que je suis beau c’est ça ? Oui je suis beau, et je te promets que ta copine dès qu’elle me voit elle me veut enfoiré. Détourne les yeux, je suis parfait aujourd’hui. Je me rase de près, je porte des vêtements sombres, je suis calme, je fais pas de vagues alors détourne tes putains d’yeux. J’ai un boulot, j’ai un appartement et tu sais quoi, il est super bien rangé. Tous les murs sont blancs, tout est vide, seuls mon lit, une table et un frigo demeurent et il y a pas une tache, crois-moi il y a pas une tache. Le soir je bois une bière en mangeant des nouilles chinoises et j’écoute du Jean-Sébastien Bach chez moi et le soir quand je cours, parce que je fais du sport, je m’entretiens. Je suis beau, je suis propre, j’ai un corps musclé, je suis bien habillé, un vrai Patrick Bateman mais sans les homicides. Donc qu’est-ce que tu crois déceler toi qu’est assis bien gentiment derrière ton quotidien à me mater ? J’ai un visage parfait quand toi tu as le genre de gueule de personne qui enferme des enfants dans des caves, alors arrête, ferme les yeux tu vaux pas mieux que moi.


Oui d’accord, je regarde un porno de temps à autre, me fait pas croire que tu le fais pas toi aussi. D’accord j’en regarde beaucoup, puis j’ai des magazines aussi, mais ils sont pas sales. Puis tu sais quoi, ce qui sort de ma queue à la fin c’est bien blanc comme tout ce putain d’appartement donc c’est raccord, pourquoi tu me regardes comme si j’étais dégoûtant ? C’est pour les prostitués c’est ça ? Si j’ai recours à elles c’est pour pas être obligé d’emmerder les filles dans les rues en les draguant comme le plus gros lourd de la ville. Parce que tu vois j’ai un patron qui fait ça, qui trompe sa femme, qui essaie de se taper les belles filles dès qu’il sort en bar, mais lui on lui dit rien, parce que lui il voit pas de putes c’est ça ? La norme c’est l’homme marié qui trompe sa femme et pas celui qui vit seul ? Pourquoi c’est moi le bizarre, le pervers, quand j’essaie de déranger personne. Mais évidemment que je drague aussi, j’ai pas dit le contraire. Mais jamais j’insiste, si je mate dans le métro c’est parce qu’elles me regardent aussi. Et me fait pas croire que ça t’excite pas leurs regards lubriques, me fait pas croire que tu le cherches pas aussi, me fait pas croire que t’as pas envie d’aborder de belles filles dans le métro et surtout me fait pas croire que c’est pour leur intellect, tu les connais pas, t’as juste envie de te les taper. J’en ai peut-être juste un peu plus besoin que toi, c’est grave ?


Toi tu fumes ton herbe bien tranquille alors laisse-moi coucher avec des filles. Puis de toute façon tu sais quoi ? Ça me fait même pas plaisir. Chaque fois que je prends une femme, un homme, chaque fois que je laisse mon corps exulter, je ressens la même chose que ma sœur quand elle s’ouvre les veines. Ça coule, oui ça coule, et c’est brûlant, mais ça fait terriblement mal et t’as juste peur d’en crever à force, de toute recracher. Le plaisir j’en avais peut-être au début, mais maintenant quel plaisir j’ai dans cette attitude compulsive qui me fait mal, qui m’ostracise parce que des gens comme toi me jugent ? Tu crois que ça me rend heureux de perdre le contrôle, de plus savoir ce que je fais, de juste vouloir me taper quelqu’un, n’importe qui ; de penser au sexe tout le temps, dans la rue, dans le métro, au boulot, dans ma douche, dans mes rêves, d’imaginer les poitrines de filles que je croise, d’imaginer leur cul derrière leur jean moulant, d’imaginer leurs soupirs de plaisir quand je m’acharnerai comme un dératé, comme un sale connard.


Avec tes yeux tu ne m’autorises pas à être malade. Tu me rappelle ceux qui pensent qu’il suffit aux personnes anorexiques de manger, aux personnes dépressives de sourire, aux personnes camées à la drogue de jeter leurs trucs. Avec ton regard tu me condamnes à n’être qu’un enfoiré qui peut se démerder tout seul parce qu’il peut s’en prendre qu’à lui-même. Avec ton regard tu me tues putain tu me tues. J’aime pas quand on me regarde j’ai l’impression qu’on voit tout, qu’on lit à travers moi, qu’on voit l’horreur qui s’est immiscée dans ma peau, mes muscles, mon sang, jusque dans mon cœur qui a chaque palpitation me répète que je suis sale. Je déteste quand les prunelles expriment autre choses que de l’attirance parce que je ne peux rien donner de plus, c’est comme avec cette fille-là. Quand elle me regardait je sentais qu’il y avait plus que du sexe, et quand je la regardais y’avait plus que du sexe. Ça a fait de moi un putain d’impuissant, parce que je suis privé de plaisir. Voilà quand on est une bête on a plus le droit à l’amour, on a le droit qu’à une cage.


Tu sais quoi, j’aimerais t’obliger à tout regarder pour que tu la vois la crasse, tout ce qui fait défaut à ton univers aseptisé de bleu et de blanc, où le désordre a pas sa place. J’aimerais que tu vois le corps livide de ma sœur étendue dans la salle de bain, trempant dans son sang écarlate souillant le carrelage blanc, son vêtement blanc, sa peau blanche. Cette fois-ci tu détournerais tes yeux à la con. Parce que face à la misère, face à ce que tu nous fais, t’es plus capable d’assumer, tu peux pas la regarder cette saloperie qui vient inoculer ton monde pâle. Tu veux pas te mélanger à nous, pas nous toucher, on est de belles bêtes de foire, on est à regarder comme un spectacle, alors qu’il suffirait que tu nous viennes en aide putain. Je vais te crever les yeux je te jure. Et dans ton aveuglement, quand tout aura sombré, quand ces immeubles écrasants seront réduis en poussière, quand cette ville ne sera qu’un abysse, peut-être que tu sauras ce que ça fait d’être aussi seul que moi.


Je hais mes collègues, je hais mon patron, et les gens comme toi me font tellement me sentir répugnant que je rejette les autres, que je préfère bannir ma sœur. Je suis esseulé dans un lieu de grandeur et d’excès parce que mon excès à moi vous semble rebutant. Je m’effondre. Me regarderais-tu si tu me voyais blessé, suant, physiquement ravagé, sous la pluie face au morne matin gris, fracturé de toute part dans mon être, pleurant sans pouvoir m’arrêter ? Pleurant contre vous, pleurant pour ma sœur, pleurant contre moi ? Là encore tu partirais alors que j’ai juste besoin que tu me dises que ce n’est pas grave. Que dois-je faire pour que tu me comprennes et m’acceptes ? Oui j’ai honte, voilà c’est ce que tu veux entendre ? Je crève de honte. J’ai honte quand je me réveille, j’ai honte quand je marche, j’ai honte quand je pisse, j’ai honte quand je respire, j’ai honte quand je me touche, j’ai honte quand je me vois, j’ai honte chaque jour, chaque heure, chaque seconde, j’étouffe de honte. Pourquoi m’obliges-tu à me flageller pour me venir en aide puis détourner le regard parce que tu me trouves dégoûtant ?


Tout ce que tu vois aujourd’hui, c’est ma belle figure, mes traits froids, ma propreté. Ce matin j’ai quelques cicatrices, ce n’est rien, je reste bien. Donc maintenant arrête de me regarder parce que cette jolie rousse me fait de l’œil, vient me parler avant que je ne me lève, la suive, la baise et agonise quelques années encore.

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