L'histoire du rat qui construit son propre labyrinthe

Franck Poupart est représentant de commerce.
Des peignoirs "made in Austria" en pure laine des Pyrénées, du Calvados d'Ecosse et autres robes de chambre molletonnées à motifs floraux.
"Poupée" a du mal à boucler ses fins de mois. Il hante ces banlieues Parisiennes naissantes.
Ces terrains vagues boueux où de vieilles maisons, ces vieilles carcasses, tiennent péniblement debout, s'appuyant sur les béquilles que sont les échafaudages métalliques de ces futures tours décrépites; comme une grand mère âgée sur son petit fils à casquette.


Il vadrouille avec son imper râpé et son sourire triste dans ces paysages morts, toquant de porte en portes, surjouant la joie de vivre espérant ramasser un petit billet en vendant une de ses merdes.
Cette joie de vivre qui n'est plus qu'un leurre, un attrape-couillon qui n'attraperait que lui.
Ces blagues qu'il sort à tout bout de champ comme pour éviter le silence, son silence, sa voie intérieure qui ne cesse de le ridiculiser, de le traiter de looser.
Ce bruit qu'il fabrique autour de lui pour étouffer la folie qui commence à hurler au fond de son bide, plantant ses griffes empoisonnées dans les entrailles de son corps fatigué pour se hisser jusqu'à ce cerveau de plus en plus fragile.


Il ne vend pas trop Poupart. Les gens ne roulent pas sur l'or dans ces banlieues tristes.
Son patron, l'odieux Staplin (sublime Blier !), vieille dégueulasserie sans âme et centrifugeuse humaine de petits vendeurs, qu'il essore et jette comme des moitié d'oranges vidées de leurs pulpes.
Cet esclavagiste calvitique le menace à longueur de journée de le foutre à la porte si il ne ramène pas assez de coton de son maigre champ.
Sa femme Jeanne se fait la malle, lassée de cette solitude à 2. Fatiguée de parler à une ombre.


C'est en errant comme un fantôme dans ce patchwork de rues et ruelles de banlieues en pleine mutation "Akiresque", qu'au hasard, il va frapper à la porte de son malheur.


Son malheur se nomme Mona. Sorte de spectre d'une enfance morte.
Jeune fille de 16 ans aux grands yeux tristes, vivant chez sa tante, qui n'hésitera pas à vendre ce petit animal tremblant aux appétits de Poupart, pour une vulgaire robe de chambre.
Mais "Poupée" lui veut pas de mal à la petite. Il en tombe amoureux.
Il est seul, perdu. Il veut lui redonner le sourire, la sortir de cette vie dégueulasse et de l'emprise de cette saloperie de mère maquerelle.
C'est au moment où Mona lui parle du "magot" que la vieille planque dans la maison, que le piège se referme sur lui, que sa raison déjà vacillante se perd définitivement entre ses 2 oreilles, que le rat commence à construire son labyrinthe sans issue.


Ce sera le début de la tempête sous un crâne. Du tourbillon inexorable qui ménera Poupart à l'irréparable.


Il le veut le "magot" de la vieille, il ira jusqu'au bout pour l'avoir.
Pas vraiment pour lui, mais pour Mona, son "petit brin de tralala...".
Pour Mona il mettra son plan à exécution. Il trouvera en Tikidès, immigré probablement clandestin et un peu simple d'esprit, le bouc-émissaire parfait.
Pour Mona, il camouflera son flingue d'une serviette blanche et tirera sur la vieille, puis sur Tikidès. Chialera comme un môme à la lueur de cette serviette enroulée autour de son flingue, qui brûle doucement, illuminant faiblement ces carcasses encore chaudes.
Pour Mona, il étranglera Jeanne sa femme, parce qu'il ne saura répondre à ses questions. Parce qu'il n'arrive plus à la regarder dans les yeux.


Parce que ses yeux ne se ferment plus, ne se fixent plus, sur rien.
Si ! Sur Mona son "petit brin de tralala...".


Tout s'écroule. Tout s'envole.
Son "magot", son pavillon, le peu de raison qui lui restait, sa vie.
Reste Mona. Qui l'attend sur le trottoir d'en face. Avec sa valise. Ils s'en iront, il l'a juré. Ils partiront...


C'est un voyage au bout de la nuit, de la noirceur, un voyage au bout de la folie.
C'est une tragédie sociale contemporaine qui possède en elle cette triste fatalité antique.
On sort éreinté, épuisé, du visionnage de ce film. Comme des yeux baignant un long moment dans l'obscurité et agressés par une lumière vive soudaine, il nous faut un moment pour régler à nouveau notre vision.
Sortir du Réalisme pour revenir dans la réalité.
Evacuer ce Naturalisme poisseux pour la simplicité et la beauté du naturel.
Nous sommes dans l'épreuve, dans le combat avec ce film. Rien ne nous est épargné.
Corneau veut nous faire mal avec ce film et lâche sa bête à nos trousses.
Un Patrick Dewaere mal dans sa peau, héroïnomane et halluciné nous embarque dans sa folie, nous fait rentrer dans son crâne et secoue très fort sa tête durant presque 2 heures. Nous cognant violemment contre les parois de cette caboche fêlée.
Où à l'image de cette scène où Dewarere se plonge dans sa baignoire pour essayer de s'y noyer; il nous entraîne avec lui, nous plongeant la tête sous l'eau pendant tout le film. On a beau s'agiter, se défendre, se débattre, rien à faire.
Cette main qui tient nos têtes sous l'eau est beaucoup plus forte, bien plus puissante que notre désir de survie.


Comme ce rat construisant son propre labyrinthe, il n'y aura pas d'issue.


On ira au fond. On le touchera. Et on y restera...

Ze_Big_Nowhere
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste C'était chouette le cinéma Français, Nom de Dieu d' bord*l de merd* !!! ...

Créée

le 31 déc. 2013

Modifiée

le 2 janv. 2014

Critique lue 4.2K fois

110 j'aime

50 commentaires

Ze Big Nowhere

Écrit par

Critique lue 4.2K fois

110
50

D'autres avis sur Série noire

Série noire
Sergent_Pepper
8

« On sait pas où on va, mais quand faut y aller, faut y aller »

Film majeur, qui s’inscrit dans la lignée des grands polars sur les petites gens. Dans une banlieue déserte et crasse, où seule la radio, omniprésente, semble tenir compagnie aux gens, le fait divers...

le 12 sept. 2013

67 j'aime

1

Série noire
SanFelice
8

Mona Mona ! T'as beau être une sacrée gonzesse !

Série Noire. Le titre fait inévitablement penser à la fameuse collection de romans noirs initiée par Marcel Duhamel en 1945, collection où fut justement édité le roman de Jim Thompson, Des Cliques et...

le 5 avr. 2018

59 j'aime

Série noire
Thaddeus
10

Rêve en rouge et noir

"Je m'appelle Frank Poupart. VRP de troisième zone, je me coltine à bout de bras une grosse valise d'échantillons pouilleux que je démarche à domicile, dans les périphéries hirsutes et décrépites...

le 4 juil. 2012

43 j'aime

2

Du même critique

Touche pas à mon poste
Ze_Big_Nowhere
4

Touche pas à mon despote !

J'ouvrais péniblement les yeux aux sons d'applaudissements frénétiques et mécaniques. J'étais assis au milieu d'un public bigarré, béat d'admiration devant ce qui se passait devant lui. Les...

le 3 mars 2016

241 j'aime

42

Les Anges de La Télé-Réalité
Ze_Big_Nowhere
1

Les Tanches de la téléréalité

12:30. Brenda se lève difficilement après une nuit arrosé avec ses amis dans une boîte à la mode de Miami. A ses côtés Jenifer, Steven et Brandon ronfle paisiblement sur les coussins multicolores...

le 28 mai 2015

227 j'aime

30

South Park
Ze_Big_Nowhere
10

American Way of F*ck

Colorado. État de l'Ouest des États-Unis. Capitale: Denver. Une superficie de 269 837 km2 pour plus de 5 millions d'habitants. Des vallées gigantesques d'un côté, les montagnes rocheuses de l'autre...

le 28 déc. 2015

198 j'aime

16