Troisième film pour Du Vernay, ancienne publicitaire qui semble avoir oubliée qu’elle ne l’est plus. Selma, c’est une pub. Une belle pub, certes, mais une pub quand même. Bien lisse, bien formatée, bien linéaire, histoire que personne ne passe à côté du message. Une pub avec un storytelling efficace et même quelques plans agréables à l’œil. Une pub, pour une cause et un mouvement. Une pub bien communautaire, comme les américains savent si bien le faire.


Selma, part d’une bonne intention. Revenir sur la campagne lancée par Martin Luther King dans la petite ville de Selma, Alabama, pour protester contre l’interdiction faite aux noirs de s’inscrire sur les listes électorales, dans le sud du pays. Sujet passionnant. La situation est résumée dans une scène bien calibrée, poignante, à faire pleurer dans les chaumières. Une vieille dame, toute fragile, toute mignonne, se voit refuser l’inscription par un connard moqueur qui lui pose des questions ridicules. Une vielle dame incarnée par Oprah Winfrey qui joue indéfiniment le même rôle, à chacune de ses apparitions sur grand écran.


Pour retracer la genèse de la marche historique, Du Vernay joue sur le registre du suspens et opte pour un face-à- face entre Martin Luther King et le président Lyndon B. Johnson. Presque un Western. King débarque dans une ville hostile, tenu par un Shérif belligérant, qui montre les muscles et joue de la matraque, soutenu par un gouverneur buté, obnubilé par sa réélection, une bonne grosse raclure. Le procédé est efficace -dans la mesure où l’on sait dès le départ qu’à la fin, ils marchent- et tient en haleine, malgré un souffle manichéen désagréable. Seulement voilà, ce face à face n’a pas vraiment eu lieu. Johnson a bien repoussé la mise en place de la loi mais était derrière Luther King, a travaillé à l’accès au vote pour tous et n’a jamais utilisé le FBI pour le discréditer. Du Verney dira en interview : « je ne voulais pas faire un film sur un sauveur blanc, je voulais faire un film sur les gens de Selma », que l’on ne verra pourtant jamais.


Comme dans la bonne grosse majorité des biopic, Du Vernay se contente de raconter les faits, sans jamais chercher à aller plus loin, à creuser un peu. Et il est là le principal problème. On a pas mal de King, un peu de son entourage et quelques scènes déjà vu cents fois avec deux, trois habitants locaux. Rien de plus. Et on apprend rien, ni sur King, ni sur son entourage, ni sur les habitants de Selma. Elle nous concocte un beau petit mille-feuille, qui nous fait de l’œil, plutôt appétissant, vu de loin, mais putain, il manque la crème. Tout ce qui fait l’intérêt d’un mille-feuille quoi. La déception. Rien sur l’état d’esprit de l’époque, la situation politique, l’opinion du reste du Pays. Rien sur le mouvement en question, son histoire, son organisation, son fonctionnement. Les quelques scènes d’échanges et de débats entre les différents leaders du mouvement sont pourtant intéressantes. Rien non plus sur les gens de Selma. On suit des leaders endimanchés organiser la marche, sans jamais connaître le rôle joué par les habitants de la ville. Rien non plus sur l’épreuve qu’a pu représenter les 5 jours de marche pour les milliers de personnes qui y ont participé, à avancer toute la journée sur le bitume et à dormir sur le bord de la route.


Quand tu fais un biopic ou tu te contentes de raconter, sans jamais essayer de creuser un peu, de retranscrire l’âme du sujet, c’est un peu con de déformer les faits. Représenter un président qui ne soit pas complètement antipathique n’aurait pas altéré la force du propos, bien au contraire, et aurait empêché certaines scènes gênantes, comme cet échange ridicule avec Hoover et ses énormes yeux, bleu comme les profondeurs insondables d'un océan hostile.


Du Vernay utilise le poignant et le dramatique pour mettre en scène une partie de l’histoire qui n’avais pas besoin d’embellissements et de renforts tragiques pour être efficace et passionnante. Elle ne montre surtout pas la bonne voie. Les nombreux problèmes raciaux auxquels nous sommes toujours confrontés ne peuvent être résolus qu’en travaillant ensemble, et non pas en montant les communautés les unes contre les autres.


Et puis le coup de grâce, la dernière image du film est encore sur l’écran, quand l’on nous gueule Ferguson en Dolby Surround dans les oreilles. Selma n’est pas un film historique ou un devoir de mémoire, c’est un film de mobilisation. Réussi.

Clode
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le 16 mars 2015

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