Version originale dont s'est plus ou moins inspiré Kim Chapiron pour son Dog Pound, Scum était à la base un téléfilm pour la BBC, jugé trop violent pour le média et donc refait par Alan Clarke lui-même pour le cinéma deux ans plus tard. Et effectivement, la télévision anglaise n'était sans doute pas prête à recevoir un tel choc social et émotionnel.


Scum, c'est le quotidien de jeunes délinquants dans une maison de correction au fin fond de l'Angleterre. L'un a volé de l'argent, l'autre a agressé un agent dans un autre établissement avant d'être transféré, certains sont brutaux mais d'autres ne sont finalement que des victimes d'une société extrêmement conservatrice. Nombreux ont été les films sur le sujet, mais rares sont ceux ayant la force et la portée du film de Clarke.


Le film, d'un pessimisme inégalable, montre deux choses : qu'une "rédemption" forcée et aléatoire n'engendre que la violence, et qu'il est impossible de vaincre le système. Peu importe les idéaux punks (Borstal Breakout impossible, "borstal" = maison de correction), les tentatives de révoltes, de signal d'alarme, l'union ne fait pas la force face à des gardiens et dirigeants ayant la toute puissance. Le film produit d'ailleurs un discours intelligent sur ce microcosme sociétal, en faisant dire à l'un des dirigeants que les délinquants y sont mieux ici que dans le monde extérieur puis juste après un suicide que celui-ci se serait produit de la même façon dans cet autre monde.


Le constat le plus terrible fait par le film est en fait que la maison de correction n'est qu'un outil pour assouvir les pulsions de contrôle des gardiens, afin qu'il puissent se dérober de leur ennui journalier, leur vie pathétique où ils se font tout autant contrôler par le système. Le contrôle mène à l'individualisme, qui mène à la violence, qui mène à une dualité primaire : être mangé ou celui qui mange, le père ou les rejetons, le "daddy" ou les "scums". Etre le plus haut dans la chaîne alimentaire ou ne plus exister, comme le "daddy" du début qu'on ne revoit pas une seule fois ensuite.


Tous les personnages, délinquants ou gardiens, sont dans cette logique de l'ascendant sur l'autre, que ce soit dans un sens ou dans l'autre, et permettent au film de traiter de sujets délicats comme le racisme, le viol ou encore le suicide. Cela donne par exemple une scène choquante après une messe du dimanche, ou encore un match de basket-ball absolument ahurissant de non-sens et de non-espoir.


Enfin tous, non. Reste un personnage unique et orbitant en solitaire au sein de cette maison de correction : Archer. Athée, provocateur intelligent et rebelle doux-amer, il apporte la touche d'humour nécessaire au film sans pour autant renier son propos intelligent, bien au contraire. Chaque phrase qu'il prononce est une ode à la réflexion, au positivisme, à l'espoir, à la liberté de penser et d'agir. Personnage quasiment irréel par son courage et intelligence, le film atteint son paroxysme de réflexion sociale grâce à lui, et quelques moments joliment poétiques.


Malheureusement, le film, impitoyable, ne laisse guère davantage d'espoir que quelques vagues provocations quant au sort de ces "scums", condamnés à obéir jusqu'à épuisement, à subir jusqu'à l'incompréhension, à glisser par terre par inadvertance. A se taire juste le temps d'une minute, répétée à l'infini. Bref, vous comprendrez en voyant le film.

Antofisherb
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le 31 août 2015

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Antofisherb

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