Autant Matchpoint, sorti quelques mois auparavant (et réussi au demeurant), est constamment encensé, autant Scoop, proposé dans la même veine, mais avec bien plus de légèreté (si, si), est totalement sous-estimé et ne bénéficie au mieux que d'une condescendance assez déplaisante - un Woody Allen "mineur", très mineur etc.

J'avais vu Scoop à sa sortie, avec un plaisir non dissimulé. Sept ans après, et n'en déplaise aux pisse-froid, le plaisir reste intact - et presque plus affiné.

Le récit démarre très fort - par le montage alterné entre le théâtre d'un petit magicien, un peu minable (Splendini, interprété cela va de soi par Woody en personne) et le théâtre de l'au-delà, filmé comme il se doit en bleu lugubre mais sans le moindre effet dramatique, où des spectres à l'apparence très humaine parlent des humains, de petits meurtres non élucidés et qui pourraient faire l'objet d'un joli scoop pour journaliste en mal de reconnaissance. Et puis, via la magie, en l'occurrence celle du cinéma, les deux univers se percutent, et la mécanique policière peut alors se dérouler.

Cela dit (et c'est peut-être là qu'est le malentendu) cette enquête n'a à peu près aucun intérêt. Les indices sont tirés par les cheveux (comme dans tout bon Agatha Christie - un nom sur une enveloppe, un jeu de tarots sous un cor anglais, la coupe de cheveux de la mère du suspect comparée à celle des victimes ... Le récit même repose sur un malentendu total, et d'un humour très anglais : (attention spoil) les soupçons (émanant du revenant/journaliste) portent sur une série de meurtre qui ne concernent en rien le suspect désigné, mais dont la culpabilité éclatera bien plus tard pour ... un autre meurtre évidemment postérieur au déclenchement de l'enquête!

Le récit se partage alors en trois grands mouvements en alternance : l'évolution de l'enquête, à la façon des policiers les plus classiques ; les temps de suspense, également très classiques (l'héroïne ou le héros, en quête d'indices dans une pièce secrète, pendant que le tueur se dirige vers ce même lieu) mais efficaces ou joliment détournés (Splendini/Allen, effectivement surpris, mais par une domestique, et bredouillant des "explications" aussi saugrenues qu'irrésistibles ) ; les temps de dialogues prolongés, le ping pong verbal entre les deux principaux protagonistes, le langage à l'excès, qui est la marque caractéristique définitive de Woody Allen. En l'occurrence Scarlett Johansson constitue un excellent sparring-partner. Dans ces moments, où se joue sans doute la perception du film par le spectateur, Woody, en mouche du coche (parce qu'il intervient, à tout moment, pour dire à peu près n'importe quoi) peut être soit franchement drôle, soit totalement exaspérant. Mais la mécanique fonctionne parfaitement (pour moi en tout cas) d'autant plus que la recherche de l'exaspération est ici un ressort important du comique, et peut-être même plus que cela.

Et ceux qui trouvent Woody Allen un peu trop bavard et envahissant ne pourront qu'apprécier l'instant où il cesse de parler, où il décide de sortir du film - par un hors champ et un effet sonore du plus bel effet comique.

Par delà l'enquête policière, Scoop évoque, de façon très directe l'univers de la magie : au fond, l'artiste, Woody Allen lui-même, n'est sans doute qu'un petit magicien, un artisan - dont les petits gags, dont les petites astuces se trouvent démultipliés par l'impact et par les moyens du cinéma, qui peut même faire revenir les morts et perturber le fonctionnement des vivants (Woody Allen a d'ailleurs à plusieurs reprises joué sur le retour des fantômes dans plusieurs films, Alice, Une autre femme ...et c'est peut-être une clé intéressante pour entrer dans son univers). Il y a là matière à grande angoisse, surtout pour un angoissé pathologique comme Woody Allen et la meilleure réponse possible demeure sans doute, pour lui, la volubilité, le langage à jets ininterrompus. On revient à l'idée de la mouche du coche - mais à présent le conducteur du coche, ce n'est plus seulement sa complice du moment (Scarlett Johansson), ni l'adversaire du moment (Hugh Jackman), nil 'ensemble des protagonistes qu'il assomme de ses logorrhées ( et qui semblent d'ailleurs y prendre plaisir même lorsque le magicien les plume au poker) - mais également le spectateur , ainsi confronté à ses angoisses, à quelques unes de ses obsessions et dans le même temps au tour de magie global que constitue le film.

On retrouve donc, en pointillé (mais de façon peu discrète, au fond) une conception, pour le moins originale, du cinéma et de son approche.

Mais Scoop, c'est d'abord, évidemment, une comédie et un temps de plaisir partagé. Et cela fonctionne - on rit; et mieux, luxe léger, on rit intelligemment.
pphf

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