Suite directe du Garde du corps, Sanjuro reprend le principe fort sympathique de la dynamique de l’opus précédent ; soit le samouraï vagabond, Mifune plus ours que jamais, déboulant au milieu d’un coup d’état au sein d’un clan.


A la noirceur grotesque succède désormais un humour plus affirmé : si Sanjuro se distingue, c’est moins par son appât du gain que par ses manières qui tranchent singulièrement avec le raffinement nippon. Face à lui, une horde de fidèles au seigneur déchu qui le suit comme des poussins et affirme toujours sa loyauté avec une vigueur confinant à l’immaturité. Le regard du vagabond sur leurs erreurs, ainsi que sur les préoccupations esthétiques des deux femmes (faut-il faire le signal avec des camélias rouges ou blancs ?) crée un décalage comique qui fonctionne à merveille, repris par de nombreux gags comme le prisonnier dans le placard qui écoute et commente les discussions.


Bien qu’il dorme, baille et insulte la plupart de ses disciples, Sanjuro se distingue à nouveau par son bon sens stratégique. Là aussi, ses propositions pimentent la dynamique d’un récit riche en rebondissement : à chaque étape, il fustige le choix de ses hommes et propose une alternative qui semble totalement improbable, et se révélera évidemment d’une rare pertinence. Le fait d’opposer les ennemis dans deux maisons voisines ajoute évidemment à ce rythme proche des comédies théâtrales. Face à un clan figé dans ses codes, Sanjuro prend les choses en main, ordonne et distille une malice iconoclaste qui fait toute la saveur du film.


[Spoils]
Obligé de réparer les erreurs de ses ouailles, pactisant avec l’ennemi, il est le moteur d’un pur film d’action et d’aventures où le bluff est l’arme absolue. Sa position libertaire est aussi l’occasion de questionner ce qui fait l’étoffe d’un héros : « sa vulgarité ne signifie pas qu’il est un traître », affirme ainsi l’un de ses complices lors d’un débat sur la loyauté alors qu’il est passé à l’ennemi. Son caractère misanthrope permet en outre de définir son héroïsme par lequel Kurosawa affirme discrètement son humanisme : point de gloire à massacrer les ennemis : « A cause de vos conneries, j’ai encore du tuer ! » hurle-t-il en giflant les jeunes téméraires ; de la même manière, le refus du duel final et le sanglant geyser dans lequel il se résout provoque autant l’admiration que la terreur.
…et le samouraï d’asséner son caractéristique « Adieu ! » avant que de reprendre la route vers de nouvelles aventures, inscrivant la légende d’un chambara pétillant et jubilatoire.


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Sergent_Pepper
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le 21 janv. 2015

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Sergent_Pepper

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