On imagine assez bien le sieur Goddard, scénariste de son état, se faire une soirée From dusk till dawn après avoir vu Hotel Artemis, et se dire le lendemain, enthousiasmé par le café, qu’écrire une histoire sur des gens douteux dans un hôtel où tout se déciderait en une nuit, ce serait fort intéressant. La réalité est un peu plus triste, car le Monsieur a fait envoyer son scénario aux seuls exécutifs des studios, et ce sur une tablette à rendre aussitôt la lecture terminée, ce qui renseigne aussi bien sur l’opinion qu’il se fait de son travail, que sur les manières en vigueur à Hollywood. Mais il est vrai que tout ou presque dans son film repose sur la découverte progressive des parcours et des intentions des protagonistes, et pourtant, le mystère inégalement entretenu aboutit à des révélations globalement convenues. Le groom pusillanime, par exemple, veut se confesser car il a fait pire qu’espionner, ce qu’on veut bien croire, mais quand il dit avoir tué plus de cent personnes, on s’attend à un événement particulier, et pas à une énième exploitation de la guerre du Vietnam.


S’il y a surprise, c’est seulement celle de la banalité répétée, d’autant qu’elle est accompagnée de l’abandon de pistes prometteuses, comme la frontière passant au beau milieu de l’hôtel. C’est pourquoi le paquet est mis sur l’ambiance, avec des décors remarquables au point de créer aussi bien le décalage que l’isolement, des chansons bienvenues sans pour autant avoir été sélectionnées avec audace, et une mise en scène qui hésite entre la valorisation de la photographie et l’immobilisme de la complaisance. Tout ou presque est d’une lenteur injustifiée, et l’arrivée du gourou violent, en causant la disparition d’un personnage féminin mal joué, crée plus une libération qu’une accélération, d’autant que le gourou en question se définit à travers un unique discours religieux, dont la teneur devrait faire rire ou fuir, et un acteur qui se plaît à jouer les Jim Morrison de pacotille. C’est pourquoi la structure narrative se veut complexe alors qu’elle est une imitation de celle de Pulp fiction, sans parvenir à masquer des réflexes de faiseur habitué aux séries, ni sans dépasser des choses moins prétentieuses mais plus réussies comme Identity.


Pour public averti (et qui se fera lui-même son film en voyant des clins d’œil dans le nom du pasteur ou la présence de Don Draper) : Bad times at the El Royale (2018) de Drew Goddard (avec deux « d » mais un seul film à l’actif dans la colonne réalisation, ce qui se voit), avec Jeff Bridges (un « fils de » qui viole la règle selon laquelle les familles hollywoodiennes ne sont bonnes qu’à s’entretenir, au point d’être devenu le spécialiste du vol de vedette) et Dakota Johnson (une « fille de » qui doit sa carrière au fait d’avoir décroché le rôle principal dans les nuances de Grey, à défaut d’y avoir prouvé quoi que ce soit)


Avis publié pour la première fois sur AstéroFulgure

Adelme
3
Écrit par

Créée

le 7 nov. 2018

Critique lue 1.1K fois

12 j'aime

2 commentaires

Adelme

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

12
2

D'autres avis sur Sale temps à l'hôtel El Royale

Sale temps à l'hôtel El Royale
RustinPeace
4

"Classic is good, baby."

Les années 70. L'Amérique du Viêt-Nam, de la guerre froide, de la contre-culture, des hippies, de Charles Manson, des droits civiques... Voilà ce qu'a voulu réunir Drew Goddard dans son premier film...

le 8 nov. 2018

41 j'aime

Sale temps à l'hôtel El Royale
vincenzobino
9

La ligne rouge

La ligne rouge L'hôtel El Royale est situé sur la frontière Nevada-Californie. Mettez-y un prêtre, un agent de la CIA, une chanteuse exploitée, une femme en ayant kidnappé une autre ainsi que le...

le 2 nov. 2018

30 j'aime

3

Du même critique

Dumbo
Adelme
4

Du sens de voler

Quelle étrange carrière que celle de Tim Burton, exemplaire de l’originalité gothique puis de l’oubli de soi, et surtout quelle étonnante réputation, à l’épreuve des compromissions comme des...

le 27 mars 2019

17 j'aime

5

Nicky Larson et le Parfum de Cupidon
Adelme
5

Fifi Larson

Ryō Saeba est japonais mais on ne le dirait pas : rebaptisé Nicky Larson en France dès sa première apparition animée, il est devenu sur grand écran Niki avec Jackie à Hong Kong puis Mumble dans un...

le 6 févr. 2019

17 j'aime

2

Sale temps à l'hôtel El Royale
Adelme
3

Cluedo royal ?

On imagine assez bien le sieur Goddard, scénariste de son état, se faire une soirée From dusk till dawn après avoir vu Hotel Artemis, et se dire le lendemain, enthousiasmé par le café, qu’écrire une...

le 7 nov. 2018

12 j'aime

2