Déconcertant au premier abord mais poignant par la suite, le film d'Alice Diop réussit à restituer la tension d'un procès et la douleur qui peut découler de la maternité. La réalisatrice signe son premier long-métrage de fiction et témoigne d’une grande maîtrise, et ce malgré quelques maladresses.


Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama.


Le film interroge au début, et m’a personnellement fait un peur quant à l’orientation que souhaite donner la réalisatrice à son film. On y voit Rama donner un cours sur Marguerite Duras, avec des propos bien pompeux. J’avoue que même maintenant je me demande encore ce qu’évoquer l’auteure apporte à l’histoire, si ce n’est pour distiller une référence chic et une ambiance intello. Vers la fin fu film, Rama regarde le Médée de Pasolini. La référence est tout aussi chic que la première mais bien que toujours inutile (selon moi), elle est cette fois plus pertinente. Enfin, quand le procès commence, l’accusée s’exprime dans un français extrêmement châtiée, dans une langue plus écrite qu’orale.


Mais lorsque le procès démarre, on oublie les commentaires ci-dessus et on est happé par la tension qui s’en dégage. On écoute le témoignage de cette femme accusée, qui par la nature de son crime, n’a tout d’abord pas notre empathie. Elle est opaque, impénétrable. Comme la juge, nous tentons de la comprendre mais ses réponses, ses incohérences nous en empêchent. L’intelligence d’Alice Diop est d’avoir fait de cette incompréhension la clé du procès. A l’instar d’Henri-Georges Clouzot dans ‘La vérité’ ou de Stéphane Demoustier dans ‘La fille au bracelet’ pour lesquels le procès était symptomatique d’une veille génération qui ne comprenait pas les mœurs d’une jeune fille, la cour se retrouve déconcertée face à l’accusée. Mais ici le gap semble être culturel.


La grande qualité de la réalisatrice est d’avoir su faire de son spectateur une sorte de juré de ce procès. Car notre opinion sur cette jeune femme varie. Elle nous émeut par moment, elle semble nous mentir, on a parfois l’impression de se faire manipuler. On se surprend à la juger et quand l’avocate de la défense fait sa plaidoirie et émet son hypothèse quant à l’acte de la folie, on n’est surpris de ne pas y avoir pensé. Mais nous ne saurons jamais le verdict du procès.


Car au fond le procès n’est au fond qu’un prétexte, un prétexte pour parler de la maternité. La maternité et le lien de la fille à la mère est évoquée à plusieurs échelle. Il y a bien sur le lien entre l’accusée et sa fille mais également entre l’accusée et sa propre mère. Deux relations qui semblent faire écho avec le lien complexe qu’entretient l’héroïne Rama avec sa mère et l’enfant qu’elle attend. Ce que le procès semble montrer, c’est que la toxicité ou la dureté d’un lien entre une mère et sa fille se reproduit à la génération d’après, c’est-à-dire quand la fille devient elle-même mère. L’idée est puissante, mais malheureusement pousse l’idée jusqu’à l’excès avec la plaidoirie de la défense. C’est un peu exagéré.


La mise en scène va à l’os. Alice Diop utilise au cours du procès de plans fixes. C’est une bonne idée. La réalisatrice nous met ainsi face à l’accusée et nous empêche de regarder ailleurs.


Un mot sur les interprétations des comédiennes qui contribuent à la réussite du film. Guslagie Malanga livre une interprétation poignante et rend parfaitement l’opacité de son personnage. Valérie Dréville est excellente dans le rôle de la juge, à la fois désemparée mais qui essaie d’être impartiale. Enfin, un mot d’Aurélia Petit une très bonne comédienne trop méconnue. Elle était déjà bouleversante dans le rôle de l’épouse d’une des victimes dans ‘Grâce à Dieu’. Elle est très juste en avocate de la défense.


Noel_Astoc
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le 3 déc. 2022

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