Je ne suis absolument pas contre les voyages dans des univers autres, ou encore les plongées en apnée dans la tête des réalisateurs les plus barrés. Au contraire même, je suis plutôt client. Pourtant, Rubber m'a laissé perplexe. Enervé peut être. Non, plutôt un petit peu triste, pour être plus précis. D'autant qu'il n'est pas mauvais au fond, ce film...
Quentin Dupieux m'avait pourtant prévenu dès les premières images de son oeuvre, avec sa voiture qui slalome en frôlant des chaises et son flic qui déclame son discours émaillé de "no reason" répétitifs. Il annonce sa volonté de s'affranchir des codes cinématographiques. Soit. De la réalité et de la logique, aussi. Pourquoi pas. L'Oizo fait donc croire à un film qui fera étalage d'une liberté totale.
Mais plus le film avance, plus on se rend compte que Rubber s'affranchit des raisons pour mieux, quasi immédiatement, s'en imposer d'autres : celles d'obéir à un standard, à une marque de fabrique made in Dupieux où dominent la dérision, le non-sensique, le what the fuck conceptuel et le vaguement mystérieux. Le gros problème (pour moi, hein, c'est un ressenti), c'est que ce non-sens apparaît systématiquement trop conscient de sa propre existence, trop prémédité et préparé afin de perpétuer la "légende" et la patte du réalisateur. J'aurais pu m'immerger dans le trip si l'ami Quentin avait pris la peine de poser les règles de l'univers qu'il comptait nous faire parcourir. Mais non. Il semble trop paresseux pour le faire, ou trop en panne des sens. Rubber m'est ainsi apparu rapidement en roue libre, l'idée de départ échappant à un réalisateur autocentré qui, dans un format aussi court (78 minutes), a voulu faire beaucoup de choses qui sont survolées, quasi inexistantes ou, au contraire, surlignées et pesantes.
Faute de dire clairement ce qu'est son film, ou au moins, de causer sur ses intentions, Dupieux s'illustre dans l'autisme le plus complet. La réflexion sur le média cinéma aurait pu être intéressante, via cette projection test comme à ciel ouvert, mais le public, assez jeune ici (tout un symbole) qui assiste à ce film dans le film apparaît crétin, idiot, exigeant et obtus dans ses attentes. Au point que l'Oizo s'en débarrasse littéralement tout au long de l'oeuvre, en les empoisonnant ou en les faisant exploser. Difficile à avaler quand la réputation de Dupieux est justement assise sur le ressenti dithyrambique de son coeur de cible... Pourtant, on sent que Dupieux est loin d'être bête et aurait pu, s'il avait été canalisé, ou du moins guidé, livrer avec Rubber un film beaucoup plus accessible (et non prémâché) et maîtrisé sans pour autant en dénaturer l'aspect unique et barré, ou encore se renier.
Reste cette histoire de pneu vivant et psychokinésique intriguante. Et je me suis demandé pourquoi Dupieux s'était débarrassé des codes du cinéma classique si c'était pour recycler les images les plus communes du "genre" auquel il donne vie de manière originale : enfance du tueur, test de sa faculté à détruire et à donner la mort, réflexion dans la glace accompagnée, bien sûr, des souvenirs de sa vie... Que du connu. C'est d'autant plus dommage qu'à la fin,
aux allures d'invasion et de contamination aux abords des collines d'Hollywood,
les intentions de Dupieux sortent enfin de l'autisme et deviennent audibles. Hasard ou coïncidence, c'est le seul moment où le non sens n'est pas seulement utilisé parce qu'il est non sens...
Behind_the_Mask, qui a crevé un pneu.