Comparé à ses premiers films, Roubaix une lumière est un Desplechin très sage. Disons même un film qui fait tout pour être sage, allant jusqu’à bercer le spectateur dans une langueur froide qui nous porte loin de la frénésie à laquelle on est habitué avec ce cinéaste. Maintenant, si on le compare aux autres films policiers, il devient intéressant à analyser.


J’ai su que le film était directement inspiré d’un documentaire. Et c’est d’abord cet aspect-là qui le rend intéressant. Car après tout, on suit des policiers à Roubaix sur différentes affaires, et première chose à noter : aucune de ces affaires n'est rocambolesque, hors-norme, grandiose à raconter. On démarre avec une rixe dans un bar, une fraude à l’assurance, puis une jeune fille qui a fugué (dont on devine qu’elle se fait probablement battre par son père). Le film commence par nous raconter des affaires qui tiennent du délit, du cas social, ou du petit crime crapuleux, toujours motivé par un fond de misère et de désœuvrement. Aucune de ces affaires n’est menée tambour battant. Elles se déroulent facilement, se règlent sans éclats. Car le crime au quotidien, c’est ça. La vie des lieutenants criminels, c’est ça.


Et ces petites affaires dressent alors le portrait d’une ville gangrénée par la misère, laissée exsangue par la désindustrialisation, touchée de plein fouet par l’immigration, que Desplechin raconte d’ailleurs sans ambages. Il filme les petites racailles dealant sous les ponts, ou sur les trottoirs à la vue de tous. Il filme aussi une ville vide (l’hiver la nuit, forcément) habitée par quelques ploucs obligés de sortir le nez de leur piaule quand on a besoin de les interroger. En résumé, c’est vraiment pas la joie à Roubaix.


(Chose marrante à noter : dans l’un des fameux video klub de Konbini, Dany Boon expliquait combien le film de Desplechin lui avait plu, parce qu’il y retrouvait la réalité immédiate d’un territoire qu’il connait. On peut comprendre son admiration, lui qui, avec ses comédies n’est jamais parvenu qu’à faire sourdre du cliché, et qui plus est, du cliché édulcoré, noyé sous des monticules de tendresse).


Bref, Desplechin oublie un peu son habituel grain de folie littéraire, et fait volontairement dans l’anti-spectaculaire, parce que, peut-on raconter autrement ce qui précisément tient de la routine misérable ? Comment malgré tout retrouver un peu de cinéma là-dedans ?


La réponse, elle se trouve du côté de Daoud, chef policier incarné par Roschdy Zem dans ce qui est probablement son plus grand rôle (en tout cas, c’est la première fois qu’il m’impressionne vraiment). Un vrai personnage de Desplechin. Voire, Desplechin lui-même. Car comme lui, Daoud a grandi à Roubaix, connait la ville par cœur et la voit se transformer, comme on connait et voit se transformer le visage de sa mère. Il est LE personnage cinématographique du film. Le type hors-norme, sorte d’équivalent à Depardieu dans le Police de Pialat. Un flic qui ne s’arrête jamais, qui ne dort même pas, et qui porte dans son flegme et dans son professionnalisme taiseux, une forme de grandeur et de sagesse.


Cette sagesse, elle tient au fait que Daoud a compris une chose. Il a compris que le crime c’était surtout de la misère, et que cette misère, on ne pouvait pas y faire grand-chose.


Et malgré cette misère, le film parvient à ne pas tomber dans le misérabilisme. Il parvient au contraire à jouer de cet air féérique propre au cinéaste. Une beauté et une lumière traversent le film, portent un espoir, quand bien même ce qu’on nous raconte est assez laid. À vrai dire, j’ignore comment Desplechin tient cet équilibre. Il y a la musique, la manière de filmer la ville, et celle de filmer ses personnages. Des flics qui font leur job, qui sont habitués à la pauvreté, mais n’en sont pas anéantis.


Et c’est là que le film devient réellement beau pour moi. C’est que, même s’il finit par raconter une affaire sordide, allant jusqu’à entrer dans les détails de son exécution, jamais il ne semble oublier que derrière le crime, il y a du dénuement, des forces sociales et financières, des virages qu’on n’aurait pas dû emprunter, un système qui broie. Il ne regarde pas les coupables comme des méchants, il les regarde comme des gens dépassés, misérable à différents sens du terme : misérables parce que sans-sous, et misérables dans la façon de mener leur crime et tenter d’échapper à la police, de se croire capables de mener un crime correctement.

-Alive-
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le 19 oct. 2022

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