Il y a tellement à dire sur Room qu’on ne sait par où commencer, et pourtant, c’est un film de peu de mots. Beaucoup s’y passe en chuchotements timides, en regards perdus dans le vide, en silences profonds de sens. Peut-être parce qu’il traite de choses qui ne se racontent pas, de sensations si fortes qu’elles se ressentent plus qu’elles ne s’expliquent.


En gros, c’est un film sur une mère et son fils, sur une relation filiale sublimée, presque fusionnelle. C’est un film sur la résilience, la survie et l’espoir envers et contre tout. On y suit Ma, une jeune femme kidnappée il y a plusieurs années et enfermée dans une petite pièce. Elle y vit avec son fils de 5 ans, Jack, un gamin comme tous les autres, qui ne demande qu’à comprendre ce qui l’entoure et à trouver de quoi s’amuser. Tous les jours, Ma invente des histoires pour protéger son fils : ce qu’il voit à la télé n’existe pas, et l’entièreté de l’univers est contenu dans « Room » ; au-delà, il n’y a rien, si ce n’est Old Nick, une sorte de magicien qui fait apparaître des choses lorsqu’ils en ont besoin.


Room tourne beaucoup autour du motif de la dualité : comme l’explique Ma dans l’une des scènes, chaque mur a deux faces opposées, deux côtés. Et le film joue sur cet entre-deux, ce passage d’un état à un autre : extérieur VS. intérieur, tendresse VS. violence, imaginaire VS. réel, moi VS. les autres, ce que je connais VS. ce que je ne connais pas. Faut pas avoir fait Saint Cyr pour y trouver des tonnes de métaphores applicables à nos vies quotidiennes que je ne prendrai pas le temps d’expliquer parce que j’estime que le spectateur a des neurones, que chacun a un ressenti propre et surtout parce que j’ai autre chose à foutre que de jouer au psy. Le fait est que c’est une expérience émotionnelle forte, qui épuise autant qu’elle épate.


Lenny Abrahamson filme tout ça sans pathos et sans grandiloquence, au plus près des deux personnages principaux : tout est raconté dans les creux de leurs visages, leurs cernes ou leurs demi-sourires. Et c’est là la réussite majeure du film : les performances de ses acteurs. Brie Larson, qui vole en rase-motte au-dessus d’Hollywood depuis plusieurs années sans jamais vraiment attirer le regard, tient là son ticket pour la reconnaissance critique globale et les futurs grands rôles. Et c’est tant mieux : quiconque la suit depuis plusieurs années a une idée du talent de ouf de cette fille (Bonjour United States of Tara, bonjour States of Grace, pour ne citer qu’eux). Elle est fantastique de justesse et parvient à exprimer un maximum d’émotions avec un minimum d’effets. Tout en elle est maternel et naturel. Je ne vois personne pour la battre, quand viendra la nuit des Oscars.


Mais la vraie révélation, c’est le gamin. Jacob Tremblay porte le film sur ses petites épaules, et c’est d’ailleurs bien souvent à travers ses yeux et ses mots que l’on expérimente Room. Il passe par à peu près toutes les émotions possibles et imaginables, en restant toujours juste et crédible. Faire ce qu’il fait dans ce film à son âge, c’est juste un tour de force, et j’ai déjà envoyé des paquets cadeaux empoisonnés à tous les votants des Academy Awards pour les punir de ne pas l’avoir nominé.


On pourra reprocher à Room une certaine lenteur, un côté contemplatif et stoïque, mais ce n’est qu’une apparence. Parce que derrière les silences et les regards se cachent des tempêtes et des orages : il suffit de regarder dans les yeux de Brie Larson et Jacob Tremblay pour le comprendre. Je dirais du film que c’est un film à taille humaine, dans tous les sens possibles et imaginables, et qui fait beaucoup réfléchir. Parce qu’au fond, cette histoire d’enfermement et de découverte du monde, c’est un peu notre histoire à tous. Nous sommes tous enfermés dans nos « rooms » et nous ne demandons qu’à en sortir. Il ne reste plus qu’à trouver une façon d’ouvrir la porte.

Wittle
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le 24 janv. 2016

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