On connait désormais bien la ligne éditoriale de Baz Lurhmann, qui en 1996 n’est connu que pour son premier film australien Ballroom Dancing qui avait de quoi donner des indices sur sa carrière future. Lorsqu’il déboule sur cette énième adaptation du mythe des amants maudits, il s’agit évidemment d’en faire un reflet de l’époque, et de draguer la jeunesse sans faire les frais d’un scénario original : on a fait la même chose avec West Side Story trois grosses décennies auparavant avec le succès que l’on connait.


Les 90’s vont donc briller de mille feux dans ce teenage movie, qui s’offrira la primeur de faire exploser une petite star en puissance, le bellâtre Di Caprio qui, dès l’année suivante, se retrouvera sur la proue du Titanic. Le film a, de ce fait, un peu vieilli, mais plutôt dans le bon sens du terme : soutenu par une BO on ne peut plus générationnelle, alignant les chemises à fleur et une ambiance californienne bigarrée, il déplace l’Italie de Véronne et le climat méditerranéen vers une atmosphère West Coast qui sied bien à l’époque, dans l’héritage de toutes les séries qui ont biberonné l’absence d’imaginaire occidental.


Luhrmann a toujours été assez sincère dans son artificialité : en somme, ça passe ou ça casse, et il faut bien reconnaître que souvent, son cinéma pique les yeux. Cette approche baroque, à grands renforts de couleurs, de fêtes, de collectivités, de bruit, de fureur et d’hystérie est menée tambour battant, mise en scène comme un clip géant, et peut se révéler éreintante. Dès le prologue, filmé comme une parodie de Sergio Leone qui aurait mis de côté, par un soucis d’efficacité putassière, sa lenteur pourtant consubstantielle, et jusqu’au final où la religiosité est exploitée dans toutes les nuances du kitsch folklorique, en passant par des fêtes sous ecstasy, le temps mort est proscrit. La frénésie sert d’écrin par contrepoint aux scènes de romance, qui fonctionnent comme des trous d’air où là aussi, tous les poncifs du genre sont convoqués avec, avouons-le encore, un certain brio : de l’apparition de Romeo dans le soleil du soir, fumant son mégot dans la solitude d’un poète torturé à cette rencontre visuellement très travaillée entre les amants à travers la paroi d’un aquarium, les jeux sur le regard, le dévoilement et la manière de jouer avec la puissance des icones est l’une des forces de la mise en scène de Luhrmann, servie par des comédiens dont la fraicheur juvénile irrigue chaque plan.


Mais la véritable question du choix esthétique du cinéaste est ailleurs. Dans ce film excessif et grotesque (qui n’hésite pas à recourir à des accélérations du rythme à la Benny Hill par moments), d’aucuns pourraient crier au blasphème par rapport à la majesté séculaire du texte exploité. Et c’est là que se situe précisément la force du projet : en gardant le texte de Shakespeare, ménageant quelques astuces (les armes à feux ayant pour marque « Sword » afin de correspondre aux répliques originales), Luhrmann remet au jour une facette de la tragédie qu’Hollywood avait pour le moins édulcorée jusqu’alors. Roméo et Juliette est un texte furieux, drôle, vulgaire jusqu’à l’obscénité, et qui met dans la bouche d’adolescents l’incandescence d’un amour et la morbidité de thématiques qui les dévorent.


Cette fidélité à l’œuvre, remise au goût du jour sur le terrain de l’image n’a donc rien d’illégitime : elle explique que dans un cliché, si l’image est éphémère, son propos peut traverser les siècles.

Sergent_Pepper

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