Un spin-off a cet avantage que le public n’en attend pas autant que de l’œuvre originale dont il s’inspire ou qu’il cherche à approfondir.


Lorsque Disney a annoncé développer une nouvelle trilogie dont les épisodes sortiraient tous les deux ans, avec des films bouche-trous entre chacun d’eux, la peur de la saturation pointait déjà.


Pourtant, après la première valse « épisode canonique / spin-off », force est de constater que c’est bien avec ces derniers qu’il va falloir compter.


Avec le recul, la nomination d’Abrams et de Trevorrow à la tête d’épisodes canoniques (respectivement VII et IX) annonçait déjà le carnage.


Avec un matraquage publicitaire suffisant pour mettre le public en émoi, le dos voûté et la rondelle offerte, Mickey s’était déjà assuré une enfilade nette et sans bavure.


Mais il avait aussi besoin des bons officiers pour les batailles à venir. JJ Abrams s’est évidemment porté volontaire pour la première cartouche. Trevorrow le goulu, de son côté, ne bénéficiait pas encore de l’aura qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais Mickey l’ayant pris en flagrant délit sous la table lors d’un repas avec Spielberg, il ne faisait aucun doute que ce rôle d’officier lui irait comme un préservatif XXL.


Bref, tout ce beau monde s’accordant à merveille, il restait à trouver quelques types intéressés par les autres films, notamment les vulgaires films dérivés ; ceux, moins prestigieux, qui n’auraient vocation qu’à occuper le terrain, à continuer de faire vendre des produits à Noël et qui ne bénéficieraient d’ailleurs pas d’une campagne de publicité intensive.


Et là, il apparaît qu’une grosse couille s’est perdue dans le potage préparé par une Minnie au bord du divorce.


Gareth Edwards a été désigné en charge du projet Rogue One.


Réalisateur de l’excellent Monsters et d’un très surprenant Godzilla, il s’est retrouvé à la tête d’un projet que Disney n’a vraisemblablement pas souhaité regarder de trop près. Pas dans un premier temps, en tout cas.


En fan qu’il est de la saga originale, Edwards a décidé de faire les choses au mieux : s’entourer de bons acteurs, développer intelligemment le scénario autour d’un micro événement évoqué dans la trilogie originale mais aux conséquences gigantesques, rester fidèle à sa ligne de conduite en proposant un film respectueux mais différent, faire des doigts à la prod’ s’ils ne sont pas contents, etc...


Bref, il était l’homme qu’il fallait pour l’épisode VII...


Il semblerait que la post prod’ ait été un véritable bordel. Pour autant, la farouche opposition finale entre Edwards et Mickey a accouché d’un produit remarquable : le résultat à l’écran témoigne de ce qu’un film dirigé par un mec doué et têtu peut être, lorsqu’on lui donne les moyens de ses ambitions.


Oubliez les images tape-à-l’œil et bling-bling de l’épisode VII, ce Rogue One s’inscrit en film délibérément sombre et adulte. Sans compromis et jusqu’au-boutiste, le film va surtout vous raconter l’histoire d’êtres normaux, pris dans la tourmente d’une guerre, durant laquelle ils vont avoir l’occasion de faire pencher la balance dans un sens au prix d’un véritable sacrifice.


En toute logique, le métrage reprend le code couleur, voulu par Lucas, pour la galaxie sous l’égide de l’Empire : noir, blanc, gris. Prélude à Un Nouvel Espoir, seul le final offrira un éclat lumineux aussi bref que significatif. C’est là, à cet instant, dans ce flash étincelant, que la guerre s’est jouée et que l’Empire a déjoué. La (jouissive) fureur de Vador qui s’ensuit n’en est qu’une confirmation.


S’agissant de l’interprétation, si l’on pourra regretter une presque trop petite place laissée à Mads Mikkelsen et Forest Whitaker, Felicity Jones, de son côté, fait complètement oublier l’insupportable Daisy Ridley. Elle endosse à merveille son rôle et s’inscrit comme l’un des personnages féminins les plus marquants de la saga (pas dur, diront les mauvaises langues). Les autres acteurs sont au diapason et complètent une parfaite team commando de choc. Malgré le ton particulier du film et la circonstance qu'ils soient inconnus des spectateurs avant la projection, tous réussiront à faire sourire, rire et attendrir, bref à gagner l’empathie.


Loin d’oublier ses icônes, le film les gère remarquablement par de brèves mais marquantes apparitions. Le liant avec l’épisode IV est réalisé avec brio ; la tentation est grande de sortir le bluray dans la foulée pour enchaîner.


Gareth Edwards, s’il n’a pu mener librement le navire jusqu’à destination, a toutefois réussi à livrer sa version de cette bataille. Surtout, il a impressionné par la justesse de sa partition, en optant pour un rythme crescendo.


Le premier acte pourra sembler long aux impatients, mais il se veut non seulement justifié par le statut du film qui est en réalité une introduction à la trilogie IV-V-VI, mais également par la nécessité de poser les enjeux et de bien présenter des personnages qui n’auront pas d’autres occasions. Il s’agit de leur seul véritable moment. Alors, le film prend son temps et c’est tant mieux. Ils ne seront pas la vulgaire chair à canon qu’ils auraient pu être sans ce temps d’exposition.


L’acte 2 fait clairement franchir un palier en termes d’intensité et fait comprendre au spectateur que l’ambiance générale sera à la guérilla. Marqué par son époque et par le terrorisme, le film l’est assurément et frôle parfois la sauvagerie.


Enfin, la récompense s’offre en ce terrible acte 3 d’une durée impressionnante au regard de l’éprouvante intensité des combats. Les moments de bravoure s’enchaînent et le spectateur se régale en se disant que JJ Abrams aurait tout foutu en l’air, lui, en plantant incohérences sur incohérences. Un formidable ballet où chaque théâtre d’une bataille a un enjeu fort, essentiel pour les autres, qui tous sont déterminants pour la réussite de la mission.


Gareth Edwards n’est pas un faiseur d’images, en ce sens que le spectateur ne ressortira pas de la salle avec des plans et images imprimés dans le cerveau. Et il ne faut pas le regretter, Edwards pense son film comme un ensemble, assure des transitions logiques en les évitant trop sèches. Surtout, il soigne son spectateur sans le brosser dans le sens du poil.


Bien sûr, tout n’est pas parfait. La composition proposée par Michael Giacchino est quasiment sans intérêt. À sa décharge, il a été appelé à la rescousse trois mois avant la sortie du film, en remplacement d’Alexandre Desplat.
Cependant, sans lui chercher d’excuses, la tonalité du film et son ambiance se suffisent, de sorte que les musiques plutôt discrètes ne perturbent pas trop l’émotion du spectateur, lâché libre face aux évènements à l’écran.


Bien sûr, il n’y a que très peu de Force dans ce métrage ; perceptible et visible, en tout cas. Car de la Force, le film en est imprégné. Et c’est inévitablement à mettre au crédit de l’homme à la tête du projet.


S’il s’affranchit des traditionnels Jedi, sabres laser etc, Rogue One n’en est pas moins un formidable film de guerre dans l’univers Star Wars. Tant dans son rythme que dans sa mise en scène, Rogue One ne lâche jamais son spectateur et lui montre qu’il a du cœur. Il piétine sans mal le torchon proposé par Abrams en 2015. À vrai dire, il pourrait même s’agir du meilleur film Star Wars, tout court.


Mercredi 14 décembre – Séance de 19h


Jour de sortie. Salle pleine, mais quasiment pas de file d’attente. Mickey retiendra la leçon pour l’année prochaine en entamant la publicité intensive bien en amont pour son épisode VIII.

Flibustier_Grivois
8

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Créée

le 21 déc. 2016

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