Dans le cadre du processus créatif, il est assez complexe de différencier l'auteur d'un film (A film/movie by) de son technicien principal, le réalisateur (Directed by). Derrière l'Oscarisé Rocky, seul prévaut son Maître d'oeuvre à la fois penseur du projet et tel qu'on l'imaginait à l'époque, apprenti metteur en scène. Pour plus de clarté, Rocky aurait pu s'accommoder sous son titre de la mention "Un film de Sylvester Stallone mis en scène par John G.Avildsen". Le second, accolé à la fonction purement scénique de l'entreprise dans l'inconscient du spectateur se voit ainsi relayer au Poulidor du succès monstre de l'année 1976. Vu comme un homme de paille, Avildsen n'a pourtant pas été désigné uniquement pour ses qualités d'architecte de l'image. Car c'est en s'appuyant sur la contradiction des classes sociales que le réalisateur de Rocky frappe de son sceau son tout premier long métrage, Joe, c'est aussi l'Amérique (1). Les rue de Philadelphie jonchées de papiers gras puis traversées par la silhouette de l'étalon Italien auront attendu que le réalisateur se fasse un nom au travers de son acuité à filmer le peuple face contre crasse. Si le cinéma de Avildsen se concrétise dans la copie carbone dénuée de noblesse du prolo confronté à ses bas instincts (Peter Boyle dans la peau de Joe) c'est parce l'acteur se prête à la représentation de l'homme moyen dans son habitat (le troglodyte et sa caverne ?) mais aussi par la photographie estompée de toute tendance à la sophistication. Joe et Rocky ont socialement en commun ce qu'ils ont en opposition soit la représentation de leur tempérament. Il est évident qu'Avildsen a de l'affect pour la working class et sa population de braves et de besogneux incultes. Rocky appartient bien à son metteur en scène autant qu'à Stallone. S'il peut demeurer un doute, à coup sûr s'effacera-t-il lorsque l'on apprendra le désistement d'Avildsen sur le plateau de Rocky V. La cause était pourtant entendue, Balboa devait s'éteindre dans l'ambulance le menant tout droit à l'Hôpital suite au combat de rue contre Tommy Gunn. Les vents contraires en auront décidé autrement poussant Stallone à revoir sa copie et à se priver de son metteur en scène. Il achèvera son film seul avant d'essuyer échec public et Critique.


Rocky V n'est pas un échec. Rocky V vit dans une utopie qui aimerait nous resensibiliser idéologiquement et politiquement avec la décennie de Gerald Ford et Jimmy Carter. Seulement on ne rebrousse pas chemin comme si rien n'avait existé. Le plan de redressement artistique d'Avildsen est bien de nous y replonger en privant Rocky de ses privilèges et de le confronter à la faillite financière, celle qui s'oppose par essence à la réussite économique et au triomphe de l'individualisme, une constante de l'esprit Reaganien. Pire encore sa forme physique est largement entamée par son dernier combat en terre soviétique. (Ironie de l'histoire le mur de Berlin s'écroulera en 1989 soit un an avant la sortie du dernier opus) Sous la coupe de son nouvel ex-metteur en scène, Balboa doit redevenir ce démocrate et non plus ce nouveau riche conservateur issu des quartiers populaires. Il est à nouveau temps de décocher un uppercut dans un quartier de boeuf. Seulement Rocky va se substituer à une version de lui plus jeune, plus arrogante. Rocky V avance masqué dans une logique de Fall mais jamais de Rise. Debarassé des lumières aveuglantes du ring, le boxer de Philadelphie se reconstruit dans la rue, là même où il a amorcé sa gloire. Cet avant dernier volet sonne déjà l'hallali du personnage bien avant sa sortie glorieuse dans le mélancoliquement lumineux Rocky Balboa. Pour achever son œuvre, Stallone préfère reprendre en main son challenger de cœur et redistribuer les cartes dans un souci de conclusion parfaite à mi-chemin entre dépression et espoir. Ainsi existe-il deux branches distinctes de la saga ? La sueur, les larmes et la sortie par la grande porte par un Sly flattant la réussite par les voies de la douleur physique et le constat de la vie à son aube puis son crépuscule par John G Avildsen.


Rocky V n'affiche donc aucune réussite (financière ou physique) si ce n'est un travail sur la légende du sportif et ce qu'il en reste. La déconstruction de la figure héroïque se solde par une reconnection aux années soixante-dix. D'une certaine manière, le film fonctionne comme un anachronisme en ce début de décennie dominé par une Amérique en proie à la guerre du Golfe. Rocky démuni ne peut plus faire corps avec sa terre alors que le pays de L'oncle Sam vise ses intérêts économiques dans une flopée de puits de pétrole. Son dernier combat sera mené dans la rue loin des cameras et du soutien du peuple. À l'écran les plus belles victoires sont les plus discrètes. À méditer malgré ses imperfections.


(1) Joe c'est aussi l'Amérique de John G. Avildsen avec Peter Boyle et Susan Sarandon


Synopsis wikipédia :
Bill Compton occupe un poste haut placé d'une agence de publicité. Il vit dans les beaux quartiers de l'Upper East Side à New York, avec sa femme Joan et leur fille Melissa. Cette dernière a pour petit ami un toxicomane et dealer. Un jour, Bill se rend à son appartement et tue accidentellement le petit-ami de Melissa. Il rencontre peu après un certain Joe Curran

Star-Lord09
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le 14 févr. 2023

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