Rieur, piquant et douloureux, Restless sait faire preuve d'autodérision et d'une distance à son récit qui n'est pas aussi bancale qu'on le prétend. Ce recul intensifie l'effet de surprise des situations, prémunit le film contre la niaiserie béante de son scénario pour en sublimer enfin le tragique avec délicatesse. Un fragment de grâce absolue.


En ce dimanche de funérailles une silhouette efflanquée, toujours la même, se détache de la cohorte des éplorés. Enoch, éphèbe vansantien par excellence, pratique là un hobby bien obscène : celui de l'enterrement. En tant qu'évènements plutôt inhabituels, les morts de ses proches ne rassasient pas la curiosité d'Enoch. Il élit donc pour passe-temps la chasse et l'incruste aux inhumations fascinantes et autres crémations en tous genres, auxquelles il n'est évidemment pas souhaité. Or, il n'est pas le seul amateur de ce créneau divertissant et, entre deux collations funèbres, Enoch fait la rencontre d'une envoûtante complice : Annabel.

Cette idée désaxée pose l'octave de Restless, baigné de la mort dans tout ce qu'elle a de plus consistant et d'étrangement vivant. Tout à tour incarnée (en chaque proche endeuillé), familière (dans le revenant-kamikaze Hiroshi) et apprivoisée (lorsque Enoch présente Annabel aux tombes de ses parents et fabrique un dialogue imaginaire), la mort désarmée sait néanmoins brûler à vif le moment venu. Car la bande-annonce ne le cache pas : c'est une lueur sinistre qui éclaire le visage d'Annabel au soir de leur Halloween.

Scène après scène, l'action s'éloigne d'un évident compte à rebours pour s'emboîter dans deux dimensions. La première met en scène le jeu d'équilibriste entre présences et visages : un cadrage audacieux va tour à tour occulter des figures et transcender l'invisible - dont Hiroshi, sorte de psyché-bis, est l'armature. La seconde plonge dans la tension entre nature et culture, entre une mort biologique utile (telle qu'Annabel la conçoit par Darwin) et une mort spirituelle insoutenable (un vide muet, selon Enoch). C'est là, dans ces dimensions articulées, que se défroissent les paradoxes du film et qu'il trace son génie propre. Certes, l'érudite lunaire et l'émotif grave s'aiment sans hystérie ni saccades ; mais ils tentent tant bien que mal de sourire à leur fin, dans toute la beauté d'un dernier matin à chanter.
goldie
9
Écrit par

Créée

le 24 juin 2011

Critique lue 1.5K fois

39 j'aime

4 commentaires

goldie

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

39
4

D'autres avis sur Restless

Restless
Aurea
6

Au bord de la route

Visage d'ange errant, silhouette juvénile vêtue de noir, Enoch est de tous les enterrements depuis que ses parents l'ont quitté tragiquement. Annabel , adolescente au physique de jeune garçon...

le 1 oct. 2011

31 j'aime

26

Restless
HistoriasExtraordina
5

Critique de Restless par C G

Restless en film d'ouverture de la sélection Un Certain Regard : la décision avait étonné plus d'un cinéphile,à l'égard d'un auteur habitué aux récompenses en Sélection Officielle (Palme d'Or pour...

Par

le 25 juin 2011

25 j'aime

11

Restless
Satané
10

Le meilleur film du réalisateur

"Restless" est bel & bien l'achèvement que j'attendais de Gus Van Sant. Alors que "Elephant" traînait en longueur sans jamais réussir à signifier autre chose que la mort imminente, & que "Paranoid...

le 4 févr. 2012

21 j'aime

12

Du même critique

Parle avec elle
goldie
10

Critique de Parle avec elle par goldie

Fébriles et aveugles au milieu des chaises, les comédiens de Café Müller pressent aux larmes. Fébrile et ambrée dans la poussière de l'arène, Lydia attend son dernier adversaire. Fébrile et ému...

le 31 déc. 2010

47 j'aime

1

Restless
goldie
9

Critique de Restless par goldie

Rieur, piquant et douloureux, Restless sait faire preuve d'autodérision et d'une distance à son récit qui n'est pas aussi bancale qu'on le prétend. Ce recul intensifie l'effet de surprise des...

le 24 juin 2011

39 j'aime

4

Ma nuit chez Maud
goldie
5

Critique de Ma nuit chez Maud par goldie

Au même titre que boire son propre sang suite à un coup dans les dents, ou bien concourir au plus gros mangeur de quenelles en moins d'une minute, Ma nuit chez Maud fait partie de ces activités...

le 27 déc. 2010

31 j'aime

9