"Vous ne pouvez pas voir ce film, il n'est pas encore tourné"

Je ne connaissais pas du tout Quentin Dupieux avant le visionnage de Réalité. Mais de très bonnes critiques le précédaient, et parce que j’avais envie de voir un film original, je me suis lancé. Original ? C’est le mot.


Parlons du pitch de base : Jason, cadreur dans une émission de cuisine dont le présentateur est habillé dans un costume de rat (parce que pourquoi pas ?), a envie de créer son premier long-métrage d’horreur, Waves, dans lequel des télévisions émettent des ondes qui tuent les humains. Pour trouver un financement, il rend visite à une vieille connaissance et producteur, Bob Marshall, qui accepte de financer son film à condition qu’il trouve le meilleur gémissement de douleur du monde. Tout le film présente la recherche de ce cri par un Jason qui commence petit à petit à perdre les pédales.


Et à mesure que Jason se déconnecte de la réalité, le spectateur fait de même.


Au début du film, tout se déroule avec un rythme plutôt lent. Peu de musique, des scènes avec un intérêt réduit d’un point de vue scénaristique, mais une belle lumière et de beaux cadrages, une sobriété manifeste quant au générique d’intro… On regarde, un peu dubitatif, un personnage chasser un cochon sauvage, puis un invité d’une émission de cuisine présenter mollement son dessert préféré à une pâle copie de Joël Robuchon déguisé en rat…


Puis, comme un état d’hypnose amené par un élément imprévu et soudain qui brise tout à coup un calme établi, on commence à saisir l’ampleur du délire dans lequel on plonge.


Des personnages secondaires inconnus, n’ayant aucun lien apparent avec le scénario, sont présentés, et on réalise que la normalité n’existe pas.


Un tel raconte son rêve à la femme de Jason, psychanalyste ; une petite fille est filmée pour un documentaire. Et soudain, la deuxième apparait dans le rêve du premier. Mais est-ce vraiment un rêve ?


Ce film est une inextricable et savante boule de nœuds scénaristique. Les personnages se croisent dans des rêves, dans des films, dans des films dans des films, dans des rêves dans des rêves, dans des rêves dans des films et dans des films dans des rêves. Même à décrire, c’est complètement fou ; vous avez vu cette phrase dégueulasse ?!


Tout est fait pour nous tromper, nous perdre. Certains personnages sont anglophones, d’autres francophones, parfois les deux. Une musique lancinante, légèrement stressante, semble tout d’abord ne s’enclencher que pendant les rêves, mais finit par se faire entendre tout le temps. Finalement, ce n’est même pas que l’on ne sait plus ce qui est un rêve et ce qui est réel, c’est plutôt que l’on ne cherche même plus à distinguer l’un de l’autre et leurs différences. Il n’y en a pas. Le film prend un malin plaisir à abattre et piétiner tous nos repères, les éclater, leur rouler dessus. A la moissonneuse-batteuse.


Et plus on résiste, plus on plonge.


Je n’ose même pas imaginer l’immense galère que ça a dû être à penser, scripter et tourner.
Ce film est un modèle d’écriture. Réellement ; je pèse mes mots : c’est du pur génie.


On navigue dans un monde où l’absurdité et le nonsense (dans le sens le plus britannique du terme) sont des standards, où les personnages semblent tout à fait à l’aise. Mais cette absence totale de logique reste indéniablement cohérente dans l’univers du film, et c’est cela qui est admirablement mis en place.


La facilité avec laquelle on est emportés dans cette chute est en partie due aux excellents acteurs, notamment Alain Chabat. Il joue à merveille le burn-out, est drôle quand il faut l’être et paumé lorsqu’il le doit.


Avec tout ça, difficile de classer Réalité dans un genre. Il tient du thriller, du film d’horreur, et pas mal de la comédie. C’est un film qui ne plaira pas à tout le monde, qui se confronte à vous, vous challenge, mais au final, pour peu que vous réussissiez à accepter sa logique, s’apprécie et se savoure pleinement. Un film qui retourne le cerveau, où la réalité n’est qu’une convention.

QuentinYuanMalt
9
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le 25 févr. 2017

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Yuan Cloudheart

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